mardi 21 mai 2013

To speak or not to speak at University ?

L'examen du projet de loi Fiorasso sur l'enseignement supérieur commence donc mercredi à 15 heures. Il est riche de beaucoup d'articles, pour la plupart issus des travaux des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il vise à corriger la loi Pécresse, mais finalement, l'essentiel des commentaires se focalisent sur l'article 2 et l'enseignement en d'autres langues que le français à l'Université.

 


Cette focalisation empêche de s'occuper des autres articles qui agitent les professionnels du domaine, des syndicats aux étudiants en passant par les présidents d'universités et par les grandes écoles. Le projet ratisse large. On y reviendra.

L'article 2 est pour le moment rédigé ainsi : Après le premier alinéa du II de l’article L. 121-3, est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Des exceptions peuvent également être justifiées par la nature de certains enseignements lorsque ceux-ci sont dispensés pour la mise en œuvre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l’article L. 123-7 ou dans le cadre d’un programme européen. »

Il est justifié comme ceci dans le projet de loi : L’article 2 modifie l’article L. 121-3 en étendant les exceptions au principe qui fait du français la langue de l’enseignement, des examens, des concours et des thèses. Il permet ainsi de dispenser en langues étrangères une partie des enseignements effectués dans le cadre d’accords avec des universités étrangères ou de programmes financés par l’Union européenne. Cette modification doit permettre d’améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français vis-à-vis des étudiants étrangers.

Les travaux en commissions ont produit sur l'article 2 des débats intéressants à lire (ici) et quelques amendements visant à garder à ces dispositions un caractère exceptionnel, le français devant rester la règle. Les tribunes se sont succédées dans la presse, toutes aussi confuses et partisanes les unes que les autres. Les français sont divisés sur cette question, comme tous les universitaires d'une même discipline ou entre domaines différents, et la doctrine est fluctuante. La loi actuelle s'appuie sur la fameuse loi Toubon qui ne tolère que de très rares exceptions. De multiples établissements d'enseignement supérieur sont dans ce cas exceptionnel, les grandes écoles en premier et toutes les filières d'excellence. Comme la loi Toubon n'est pas complètement appliquée, il reste un flou béant dans lequel se sont précipités de nombreuses institutions. L'idée de préciser les contours de ce trou est une bonne idée. Elle semble impraticable et contre productive, en tous cas de la manière dont est rédigé l'article.

La commission propose donc le nouveau texte suivant : Après le premier alinéa du II de l’article L. 121-3 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Des exceptions peuvent également être justifiées par la nature de certains enseignements lorsque ceux-ci sont dispensés pour la mise en œuvre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l’article L. 123-7 ou dans le cadre d’un programme européen et pour faciliter le développement de cursus et de diplômes transfrontaliers multilingues. Dans ces hypothèses, les formations ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère. Les étudiants étrangers auxquels sont dispensés ces enseignements bénéficient d’un apprentissage de la langue française. Leur niveau de maîtrise de la langue française est pris en compte pour l’obtention du diplôme. »
Article 2 bis (nouveau)
Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’impact de l’article 2 sur l’emploi du français dans les établissements publics et privés d’enseignement et sur l’évolution de l’offre d’enseignement du français langue étrangère à destination des étudiants étrangers. 

On oppose deux camps, qui vont certainement s'exciter dans les travées du Palais-Bourbon puis du Palais du Luxembourg :
- d'un côté les hypocrites de la francophonie qui refuseraient de voir les nombreuses exceptions actuelles à l'enseignement en français pour défendre un message d'ailleurs très ambigu : oui la francophonie universitaire existe et se développe, principalement hors de France, et oui l'attractivité des universités françaises doit se faire en attirant les meilleurs étudiants solvables tout en gardant les étudiants qui font notre force historique, grâce à une qualité et un accueil exemplaires.
- de l'autre les modernistes mercantiles qui refusent l'enfermement de la France dans sa langue et qui sont prêts à tout pour ouvrir les frontières vers l'Asie (essentiellement), tout en constatant le faible niveau des français en anglais (puisque ces mêmes partisans ont baissé les bras devant la lingua franca actuelle.

Mélangez à cela les anciens et les modernes, les ayatollahs de la langue et les plurilingues naturels, les extrêmes et les centres, les intérêts commerciaux de certains lobbies dans le domaine de l'édition et de la formation, les grandes écoles contre les universités (tout contre) et vous avez un cocktail explosif.

En fait l'ouverture à l'anglais pour attirer des étudiants solvables des pays émergents, l'apprentissage de l'anglais par les étudiants français avec d'autres langues, la valorisation du travail des chercheurs français dans leur langue ou non, et le développement d'une coopération francophone dans le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche sont des questions différentes. L'article 2 ne peut toutes les articuler en quelques phrases. Le projet est sur ce point trop simpliste et plein d'effets pervers.

Une revue de presse sur ce sujet est très difficile à faire, mais voici quelques repères :
- Libération de ce jour, avec sa Une en anglais pour provoquer un peu, comme d'hab et un dossier bien fait, avec une tribune "officielle" de la Francophonie.
- La ministre dans le Monde, soutenue par Peillon sur l'hypocrisie ambiante
- Madame Benguigui et sa non-position dans l'Etudiant
- Claude Hagège dans le Monde, et un dossier ici.
- Marine Le Pen sur son site
- Antoine Compagnon sur le chat du Monde
- Slate
- L'Echo républicain
- le JDD
- France Info
- des associations de défense de la langue française, très très traditionalistes, citant Abdou Diouf
...

Finalement, j'en tire deux conclusions provisoires :

- Voici un débat mal lancé et mal préparé par le gouvernement qui a sous-estimé l'appétence des français pour leur langue. Alors que cette idée était déjà présente dans les têtes de François et du gouvernement dès mai 2012, puis juillet avec le lancement des assises, rien n'a été fait pour la développer et la faire mûrir correctement. Le processus long de concertation n'est pas toujours suffisant pour accoucher d'un bébé viable.
- C'est pourtant un très bon signe pour la francophonie et le développement de notre langue. Ca réveille le landernau endormi de la francophonie qui est trop silencieuse sur le sujet, coincée entre des ayatollahs peu crédibles et une doctrine fluctuante. Ca réveille aussi l'existence d'un débat autour du français. Débattre c'est sain. C'est aussi prendre conscience. Il ne reste plus qu'à agir et à réveiller un peu à la fois les français sur ces questions et la francophonie endormie en France.

En tous cas, il est difficile d'expliquer à un africain, un chinois ou un américain (du Québec à l'amérique latine) ce débat sans être ridicule. Et pourtant... C'est là qu'est l'avenir nous dit-on et que la production scientifique se fera bientôt. Pas du tout certain qu'elle se fasse en anglais.

Peut-être un jour un débat sur la francophonie et la langue ?










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