dimanche 15 décembre 2013

Du temps de cerveau pour … une nouvelle quinzaine acrostiche

Désiré avait au moment des faits une quinzaine d’années.
Un détail sans importance, quoique...

Tante Aimée était sur scène devant le chapiteau et haranguait la foule.
Elle avait fière allure, tout à la fois femme à barbe, fort des Halles et Monsieur Loyal.
Même les plus blasés des passants étaient obligés de s’arrêter pour l’écouter.
Pendant qu’elle parlait, Désiré jonglait avec cinq quilles et regardait les filles du haut de la scène.
Sans surprise, aucune fille ne regardait. Désiré était très moche, il faut le dire.

Désiré était un digne rejeton de la famille Martillon, propriétaire du cirque le moins sexy de France.
En aucun cas le plus laid, il était simplement quelconque et presque invisible derrière ses quilles.

C’est au moment où Tante Aimée souleva ses faux haltères que cela arriva.
Elle leva les yeux sur lui et Désiré sut qu’il avait été frappé par un coup de foudre.
Rien ne l’avait annoncé et Désiré ne l’avait même pas remarquée la seconde d’avant.
Venue d’on ne sait où, elle plongea ses yeux dans les siens et y pénétra.
Elle était belle. Trop belle pour Désiré et Désiré le savait. Mais elle le regardait.
Alors Désiré arrêta de respirer et ferma les yeux pour garder ses yeux dans les siens.
Une quille s’envola, très haut, puis une autre.. puis toutes les cinq.

Parfaitement synchronisées, les cinq quilles retombèrent comme les doigts d’une main de géant.
Où retombèrent-elles ? Au pire endroit évidemment. Sur Tante Aimée.
Uniquement sur elle : deux sur les haltères, deux sur ses faux seins et une sur la tête.
Rouvrant ses yeux, Désiré vit d’abord sa Tante étendue par terre.

Un énorme rire fusait de toutes les gorges, ou de presque toutes. Elle ne riait pas.
Noyé dans ses yeux, Désiré ne riait pas non plus. Il ne pouvait pas bouger.
Elle continuait à le regarder et il sut alors ce qu’il devait faire.

Négligeant sa tante, il reprit ses quilles et se remit à jongler. La foule le regarda, lui.
On aurait entendu une mouche voler maintenant. Les quilles volaient.
Une sixième, puis une septième quille apparurent sans que l’on sache d’où elles venaient.
Vous auriez été là, vous auriez été fascinés. Jamais un jongleur n’avait jonglé ainsi.
Elle le regardait toujours et lui aussi. Les quilles vivaient une vie à elle.
La foule était encore médusée quand Tante Aimée se réveilla.
Levée sur un coude, Tante Aimée regarda aussi Désiré, puis elle se tourna vers
Elle.

Que se passa-t-il à ce moment précis ? Personne ne sut le dire après coup.
Une des quilles resta en l’air, puis une autre, puis toutes. Elles étaient quinze maintenant.
Il n’y eut aucun bruit mais toutes les quilles disparurent dans un nuage doré.
Ni Désiré, ni Elle ne s’étaient quittés des yeux.
Zigzaguant lentement, un éclair descendit du ciel et les toucha tous les deux en même temps.
A partir de ce jour, plus personne ne revit jamais Désiré. Ni Elle.
Il y eut d’autres représentations et d’autres jongleurs et le cirque continua évidemment.
Nuit après nuit, pourtant, Tante Aimée repensait à Désiré et à cette Elle qui l’avait trouvé.
Et elle leur souriait.


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