mardi 3 décembre 2013

Parenthèse déontologique

Que l'actualité française est inintéressante quand on est loin !

On n'en voit pas la même chose quand on n'est pas agressé en permanence par des titres qui s'entrechoquent. Je suis loin, donc, et ici les manipulations habituelles de nos chers médias ne sont que du fait-divers sans importance. Je relèverai en particulier la tendance et la mode pour des manipulations d'images. TF1 a défrayé la chronique récemment avec deux affaires.

Celle dont on a déjà parlé où la chaîne avait décalé le son par rapport à l'image, lors d'une visite de François en province : en rajoutant des sifflets alors qu'il descendait de voiture, la télé donnait évidemment l'impression d'une impopularité permanente. Que François ne soit pas populaire en ce moment est une évidence. Exagérer cet effet, ou au contraire l'atténuer d'ailleurs, n'est pas de l'information, mais du journalisme d'opinion. Ce décalage avait été mis en évidence par une chaîne décalée qui se fait une spécialité d'identifier les intox. De l'intérêt de la satyre.

La nouvelle affaire est du même genre : il s'agit de la mise en scène de Mélenchon parlant ce week-end un peu avant la manifestation qu'il organisait, et où on le voyait avec plein de manifestants derrière, sur TF1. En fait il s'agissait d'une mise en scène, comme l'a révélé un photographe qui a publié une photo de la même interview, filmée d'un balcon au-dessus : presque personne n'était présent. Là aussi, il ne s'agit pas de savoir s'il faut gonfler le poids de Mélenchon ou le contraire, mais de savoir distinguer si ce qu'on voit est de l'info ou de l'intox. D'ailleurs sur la même manif, les chiffres du Front de gauche et de la préfecture sont nettement plus différents que d'habitude : cela va de 7 000 à 100 000, bien au-delà des usages ;)

Face à deux exemples comme ceux-ci, on pourrait tirer des conclusions simplistes et critiquer TF1, tous les médias et une manipulation généralisée. Ce genre d'amalgame serait typique d'une analyse populiste ou de fanatiques des théories du complot. Tirons-en plutôt d'autres conclusions.

Oui, les mises en scène sont fréquentes. Tout apprenti journaliste ou photographe apprend à cadrer suivant le message à passer. Cela fait partie du folklore médiatique habituel. La télé réalité est devenue la norme, c'est-à-dire la mise en scène de la réalité en découpant le temps et l'espace pour rentrer dans les cases disponibles et dans nos cerveaux. Lorsque certaines limites déontologiques sont franchies, il faut des alertes, donc des vigies qui les lancent, pour dénoncer ces écarts.

La Haute Autorité de l'audiovisuel réagit, mais souvent après coup et après que d'autres médias aient identifié le problème avant. Si ces médias ne l'avaient pas fait, que se serait-il passé ? Que se passe-t-il pour les autres écarts qui ne sont pas identifiés ? La quantité d'images empêche tout contrôle centralisé en fait. Le fait que les problèmes aient été identifiés une fois par un journal satyrique et une autre par un tweet d'un individu normal, montre bien la puissance de ce type de communication. Le réseau social au service de la liberté ?

Sur ce dernier point il faut rester prudent, loin encore une fois des ayatollahs de l'informatique libre et sans limites qui croient depuis les années 1970 que l'humanité sera sauvée par ce mouvement libertaire. Et pourtant ! C'est bien la puissance du collaboratif qui permet de limiter les dérives. C'est une force d'un type nouveau. Et pas seulement en France.

Je suis aujourd'hui en République de Moldavie, ancien pays du bloc soviétique, qui essaye de sortir son épingle du jeu, en ayant choisi résolument (pour le moment) l'Europe - et pas seulement depuis le Sommet européen de Vilnius. Ici l'information est en plein boum mais a du mal à sortir du silence ancien. Les jeunes ont tendance à écouter les médias internationaux, réputés plus fiables et honnêtes ! La corruption existe encore (vous noterez l'usage du mot encore) et de multiples structures de l'Etat sont encore très centralisées et très formellement cadrées. Les lignes mettent du temps à changer. Partout, donc dans les médias aussi. Et pourtant, le changement de mentalité est bien là.

La déontologie est un art difficile. La déontologie de chacun dépend en partie des règles fixées et de la déontologie globale de la société, quel que soit son contexte. En croisant ces deux situations, en France et en Moldavie, je vois un paradoxe sur la modernité : où est-elle ? Les blocages d'une société ne sont pas les mêmes d'une société à l'autre, mais il y a des blocages de jeunesse et d'autres de vieillesse. L'Europe a beaucoup à apprendre de sang neuf, c'est mon sentiment du jour.

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