mardi 18 février 2014

La Corée du Nord vue de l'extérieur

Dur, dur de travailler à l'ONU. Soit on croit à ce qu'on fait, aux droits de l'Homme et aux grandes valeurs partagées, et on produit des rapports féroces. Soit on est dépendant des valeurs de son pays d'origine, en obéissant aux ordres, et on critique férocement les rapports produits par les premiers.


Une commission de trois spécialistes de l'ONU a donc rendu hier un rapport de 400 pages ou presque (texte et annexes ici) sur les exactions en Corée du Nord depuis au moins 10 ans, pour ne pas dire 50.

Lors de la présentation de ce rapport on notera trois faits intéressants :

- Les auteurs ont invoqué une multiplicité de crimes contre l'humanité dans le pays, mais comme personne ne peut évidemment pénétrer dans le pays lui-même, tout est basé sur des témoignages externes, recueillis le plus souvent auprès de réfugiés. C'est donc un rapport de seconde main que les défenseurs de la Corée du Nord vont s'empresser de dénoncer comme partial, à charge et donc faux et sans importance. L'intrusion de l'ONU dans un pays est effectivement hors limites, et frise l'ingérence. Ceux qui militent pour un devoir d'ingérence ne sont pas légion. La commission des droits de l'homme a d'ailleurs prouvé plusieurs fois qu'elle n'était pas vraiment respectueuse elle-même des valeurs qu'elle prône. Mais ce rapport semble beaucoup plus étayé que d'habitude. Ce qui renvoie au deuxième point.

- Les auteurs clament qu'il faut arrêter de fermer les yeux sur la Corée du Nord et ses crimes contre l'humanité. Ils disent qu'il ne faut pas se retrouver dans la même situation qu'après la fin de le deuxième guerre mondiale et l'holocauste, ou les bons esprits de la communauté internationale ont invoqué l'argument du "nous ne savions pas". Cette génération de politiques et de diplomates savait beaucoup de choses mais ne voulait pas l'avouer. Les auteurs du rapport ne veulent pas les imiter et rester volontairement aveugles. C'est une manière de se dédouaner pour l'Histoire : identifier le plus vite possible des crimes graves contre l'humanité, les dénoncer pour montrer qu'on n'est pas dupe. C'est une manière étrange de se protéger : oui nous savions, oui nous l'avons dénoncé, mais non nous n'avons rien pu faire pour l'empêcher, mais c'est pas notre faute. L'étape suivante logique est donc le dépôt de plaintes à la Cour pénale internationale. Ce qui nous renvoie au troisième point.

- La CPI ne peut être saisie que par le Conseil de sécurité. La Corée du Nord y a un allié fort, la Chine, qui a droit de véto et qui l'exercera vraisemblablement. La Chine invoque, comme à chaque fois en matière de droits de l'homme, le besoin de traitement équitable, en dehors de la CPI. Il ne se passera donc rien, trop d'enjeux sont sur la table : la situation entre les deux Corée, le rôle des américains et des chinois dans la péninsule, la volonté de tous de ne pas renforcer le rôle de l'ONU et du multilatéral. Certains espèrent que ce rapport aidera les "opposants" du pays, ceux qu'on appelle les modérés, à lutter contre des dérives trop fortes dans ce pays en perpétuel état d'urgence et de guerre où toutes les mesures sont possibles. Tous espèrent une onde de choc. Mais c'est surtout la preuve que le système onusien n'est pas adapté pour ce type de situation.

Un rapport pour rien donc. Un geste pour dédouaner l'ONU par rapport à l'Histoire. Un rapport qui vise avant tout à renforcer l'ONU.

Peut-être faut-il rajouter au premier paragraphe de ce billet la phrase suivante : Soit on n'est là que pour justifier l'existence même de l'organisme où l'on travaille, l'ONU.

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