dimanche 4 mai 2014

Du temps de cerveau pour… une nouvelle Train de Dieu

Véra avait fêté ses neuf ans au début de l’été. On lui avait offert Alice au pays des merveilles qu’elle avait dévoré puis relu plusieurs fois depuis. Véra était déjà une grande lectrice pour son âge mais ce livre l’avait bouleversée. Au fond d’elle-même, elle savait que c’était son histoire qui était dans ce livre. Elle aurait dû être Alice. Evidemment, du haut de ses neuf ans et de son prénom qui veut dire « la foi » en russe, elle était intimement persuadée qu’une telle histoire allait lui arriver, à elle. Mais pas une histoire avec un lapin. C’était tout juste bon pour les enfants. Il lui arriverait des aventures merveilleuses, mais pas avec un lapin idiot.

C’était le plein été et le temps était doux à la campagne. Véra passait tous les après-midi dans un arbre près de la rivière. Elle attendait son aventure. Et son lapin métaphorique.

Rien ne s’était produit au début. Elle avait jugé que c’était pour ébranler sa foi mais, nom d’une Véra, elle n’allait pas se laisser impressionner. L’arbre était au fond du jardin, bien isolé, et elle se sentait en parfaite sécurité. Au bout d’un certain nombre de jours (je dirais un ou deux) elle commença à s’ennuyer sur son arbre. Elle alla donc chercher quelques occupations dans la maison. Le jeune fils du gardien l’aida à transporter quelques menus objets et à installer quelques planches pour qu’elle soit plus confortable. Le pauvre n’avait que sept ans mais c’était mieux que rien.

Nous retrouvons donc Véra l’après-midi du cinquième jour, seule sur son arbre. Il y avait maintenant une plateforme, plein de coussins brodés, une petite glacière avec des jus de fruits et une réserve de gâteaux aux abricots, ses préférés. Il y avait aussi une pile de livres, un miroir pour s’admirer et son doudou, un petit cochon vert en peluche, qu’elle appelait maintenant Piggy en hommage au stupide jeu vidéo auquel sa mère jouait tout le temps. Le vrai nom de son doudou était pour elle seule. Sa mère n’avait pas compris l’allusion. Les adultes sont bêtes, se disait-elle. Heureusement qu’elle était là pour relever le niveau de la famille.

C’était une journée sans vent. L’arbre la protégeait bien du soleil mais il faisait quand même un peu chaud. Comme tous les jours elle s’était habillée en Alice et surveillait les abords de la rivière, en contrebas. Sa glacière était déjà presque vide. Elle décida soudainement de se baigner. C’était strictement interdit par ses parents, mais ça comptait pour du beurre (fondu). Il faisait trop chaud. Véra décida donc d’y aller, non sans avoir vérifié que personne ne pouvait la voir. Elle se mit en culotte, descendit de l’arbre par la petite échelle en bois et trempa un orteil dans la rivière. Elle était délicieusement glacée. En un clin d’oeil, elle s’allongea dans l’eau et se mit à regarder le haut des arbres. Qu’est-ce qu’on était bien ! Le seul problème était qu’on ne pouvait pas lire dans l’eau. Quoique. Elle se promit de demander plus tard au fils du gardien de lui installer un petit pupitre pour qu’elle puisse y poser un livre tout en étant dans la rivière.

Pour le moment elle restait allongée à regarder le soleil à travers les feuilles des arbres. Tout était immobile ou presque. Tout bougeait au ralenti. Son doudou était posé sur la berge le plus près possible.

Soudain, du coin de l’oeil elle vit quelque chose passer très vite au-dessus d’elle et des arbres. Aucun bruit. Mais il lui sembla avoir reconnu un oiseau du jeu de sa mère. Elle sourit et et se dit qu’elle avait dû rêver. Elle avait un vrai destin devant elle, pas un simple jeu vidéo ridicule pour adultes attardés. En plus elle n’entendait rien, aucun craquement ou aucun cri caractéristique de ce type de jeu. Elle ouvrit cependant plus grand les yeux et regarda attentivement. On verrait bien ce qu’on allait voir !

Elle resta ainsi quelques instants mais ne vit rien d’autre. C’était quand même intrigant. Elle décida d’aller voir et en quelques instants fut séchée, rhabillée, et en route vers ce qui devait avoir été le point de chute de ce bizarre oiseau. Avec son doudou sous le bras elle n’avait peur de rien, elle savait que sa maison n’était jamais loin. Elle se mit donc à marcher à travers le bois et arriva très vite dans une clairière qu’elle ne connaissait pas.

La clairière était parfaitement ronde et une sorte de vieille souche était plantée au milieu. Il y avait une pancarte à côté mais elle ne pouvait pas la lire d’ici. Elle se rapprocha prudemment. La clairière était déserte. Véra était presque arrivée à la souche quand elle vit un oiseau rouge arriver comme un boulet. L’oiseau atterrit assez loin du centre, rebondit trois ou quatre fois puis s’arrêta. Il n’était pas gros, mais très coloré. Elle s’en approcha mais l’oiseau se releva d’un coup et partit à toute vitesse dans la direction d’où il était venu. Il allait drôlement vite malgré ses petites pattes, se dit-elle. Elle était seule dans la clairière maintenant.

La pancarte comportait une flèche (vers la souche) et une inscription « Ne pas toucher au bouton ». Véra était une enfant très douée, vous l’avez compris, mais c’était une enfant. La tentation était trop forte. Elle serra son doudou contre elle et regarda la souche. Elle était grande, pas très haute, mais son diamètre faisait au moins deux fois la taille de Véra. Véra inspira un grand coup et monta dessus. Elle allait leur montrer !

Elle était maintenant sur la souche et se dirigea vers son centre. Elle ne voyait aucun bouton, ni rouge comme tous les boutons doivent être, ni d’une autre couleur. Véra était déçue. Elle se tint là, bien au centre de la souche et regarda tout autour d’elle. La clairière n’avait pas changé. Elle se dit qu’elle allait attendre le prochain oiseau rouge, mais elle commença vite à s’ennuyer. Elle posa son doudou au milieu de la souche et redescendit pour aller voir si un détail ne lui avait pas échappé.

Tout arriva en même temps : elle marchait dans l’herbe quand un oiseau rouge vint atterrir à ses pieds et elle eut le réflexe de l'attraper dans ses bras au rebond. Au même moment son doudou devint phosphorescent, grandit et se transforma en prince charmant. La souche se mit à monter dans le ciel comme un ascenseur à grande vitesse. Et elle s’évanouit.

Quand elle se réveilla. Elle était allongée dans la clairière, un oiseau rouge en peluche dans les bras. La souche et la pancarte avaient disparu. La clairière était redevenue sauvage et irrégulière. Plus aucune trace de son doudou.

Véra retrouva facilement le chemin de sa maison. Elle eut à peine un regard pour son arbre. Il faudrait qu’elle demande au fils du gardien de tout rapporter. Elle n’aurait plus l’usage de cet arbre maintenant. C’était trop tard. Elle avait raté sa grande aventure. Au moins elle avait maintenant un nouveau doudou rouge, et elle savait que Prince, son ancien doudou était heureux quelque part au pays des merveilles.

Il était temps qu’elle grandisse, se dit-elle. Peut-être son Prince reviendrait-il plus tard ?






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