dimanche 11 mai 2014

Du temps de cerveau pour... une nouvelle dites trente-trois

Le Docteur Schmurtz se gratta le nez. C'était bizarre. Pas son nez évidemment. Il s'était depuis longtemps habitué à ce long nez qui était bien pratique pour porter des lunettes mais qui le gênait parfois quand il regardait dans le viseur. C'était bizarre que son nez le gratte. D'habitude, quand il avait besoin de se gratter, c'était le sourcil droit, qu'il se grattait avec la main gauche. Pourquoi diable aurait-il le nez qui le gratte ? Et justement aujourd'hui pendant cette expérience si importante !

Le Docteur se détourna de son microscope et regarda le miroir de l'autre côté du bureau. Tout avait l'air normal. Sa blouse blanche était à peu près propre. Enfin, comme d'habitude. Ses lunettes étaient posées bien horizontales devant ses yeux sur la table, car il ne pouvait pas les garder quand il regardait ses plaques au microscope. Ses cheveux étaient en bataille contre la calvitie et la guerre semblait perdue pour ses quelques soldats qui brandissaient vaillamment leurs armes blanches contre le rose luisant de son crâne. Son sourcil à gauche avait sa petite rougeur habituelle, qui ne le démangeait pas pour le moment, tandis que le sourcil gauche qui était à droite semblait impeccable. Et son nez ? Son nez avait l'air parfaitement normal pour un appendice de cette longueur. Aucune rougeur à signaler, même à l'endroit qu'il venait de gratter.

Le Docteur était intrigué. Excellent scientifique à l'esprit illimité, quoiqu'un peu borné de temps en temps, il n'imaginait pas de problème sans solution, après une étude poussée évidemment. Ce problème de grattage de nez l'interpellait, et foi de Docteur Schmurtz, il ne s'en laisserait pas conter. Il décida donc de laisser l'expérience en cours quelques secondes pour se pencher sur cette énigme. Pourquoi son nez le grattait-il subitement ?

En quelques gestes précis, le Docteur débarrassa sa paillasse de tout ce qui l'encombrait et sortit ses instruments : une super loupe grossissante et ses pinces de précision. Il préleva quelques morceaux de peau à l'endroit précis où il s'était gratté, et dont il gardait une mémoire parfaire, et il les déposa entre deux lamelles. En moins de temps qu'il n'en faut pour calculer les douze premières décimales de Pi, le Docteur avait installé son échantillon sous le microscope et avait commencé à l'examiner.

Quelle ne fut pas sa surprise de voir alors, au grossissement maximal, un petit cube gris foncé. Ce cube était très petit, même à cette échelle, mais il n'appartenait pas à son nez, se dit le Docteur. Son nez et ce cube n'iraient pas dû cohabiter dans le même espace. C'était impossible. A cette pensée, le Docteur frémit. Impossible ? Impossible n'est pas scientifique ! Il suffit juste de trouver la raison.

Le Docteur décida alors de se consacrer incontinent à l'examen de ce cube. Ayant déjà remisé dans un coin perdu de sa mémoire l'expérience d'avant, il s'agita comme un fou pendant quelques heures et réussit à réquisitionner le grand microscope électronique du laboratoire. Ses collègues ne comprenaient pas pourquoi il avait besoin d'un tel équipement réservé en général des mois à l'avance, mais le Docteur était obstiné et tout le monde préféra lui céder plutôt que d'affronter sa colère et ce haussement de sourcil (le droit) qui était toujours annonciateur d'une tempête.

Lorsque les réglages furent terminés, le Docteur put enfin examiner le cube. A cette échelle, on ne pouvait en voir qu'une partie à la fois. Et à sa grande surprise il vit des lettres écrites sur le cube. Chacune de ses faces comportait une lettre. La première était incontestablement un "i". Sur la deuxième face il lut un "l", puis un "é", un "t", un "a" et un "i" encore sur les quatre autres. "ilétai" ou toute autre combinaison de ces six caractères ? En quelle langue ? Le Docteur frémit. Quelle découverte ! Il fut pris du tremblement habituel à son sourcil, comme à chaque fois qu'il se passionnait pour une aventure scientifique. Il décida de revenir à la première face pour examiner ce "i" plus en détail.

Mais il n'y avait plus de "i". A la place, il découvrit un "t" parfaitement formé. Le Docteur faillit en lâcher la molette de l'électro-aimant qui faisait tourner le cube. Peut-être s'était-il trompé de face ? Il recommença dans ce qu'il croyait être le même ordre le tour des 6 faces et y lut les lettres "tunefo". A part le "t" elles étaient toutes différentes ! Son instinct de chercheur le poussa à refaire un troisième tour : cette fois-ci les lettres étaient encore différentes : "isune." Oui, la dernière lettre était un simple point, parfaitement centré sur la sixième face. Un autre passage le rendit plus que perplexe : Toute les faces comportaient maintenant en leur centre un point. Et chaque passage suivant était identique.

Le Docteur s'assit et se gratta la tête, juste au-dessus de l'oreille gauche, ce qui était chez lui un signe d'extrême agitation. après quelques instants de réflexion, il écrivit toutes ces lettres sur son tableau (vert, comme tout bon tableau de scientifique). Mais cela ne voulait rien dire. Aucune progression mathématique ne se trouvait dans ces lettres et rien ne pouvait expliquer cette transformation des faces ni cette irruption de points sur toutes les faces. De plus, vu l'échelle de grossissement, il semblait impossible de pouvoir graver de telles lettres avec autant de précision sur un si petit cube. Et d'ailleurs, comment ce cube se serait-il retrouvé là, sur son nez ?

La nuit était avancée quand il décida d'aller se coucher. Il reviendrait le matin très tôt pour continuer ses recherches. Il laissa juste un mot à son assistante pour qu'elle n'efface pas le tableau, puis se retira dans sa chambre dans l'immeuble à côté.

Le lendemain deux choses différentes se produisirent. Le Docteur arriva effectivement très tôt dans son laboratoire. Son assistante était assise sur un tabouret devant le tableau. Elle avait réécrit toutes les lettres à la file. Le Docteur lut : "Il était une fois une..." Il regarda d'un air ahuri le tableau et se dit que c'était évident puis regarda son assistante. Il ne se souvenait jamais de ses assistantes et c'était comme s'il la voyait pour la première fois. Elle avait l'air d'une princesse sur son tabouret, et soudain le Docteur sut la suite de l'histoire. Pas besoin de la lire sur un cube pour cela. Il la voyait dans ses yeux. Il était vraiment une fois une princesse qui...

Et l'autre chose au fait ?

Ah oui, c'est au sujet de l'expérience que le Docteur avait oubliée avant de se gratter le nez. Un nouveau virus qu'il venait de mettre au point. Extrêmement contagieux et très dangereux, le virus avait muté au contact de la lamelle contenant le cube. Il était toujours extrêmement contagieux mais n'avait maintenant aucun autre effet que de guérir de la plupart des maladies. Personne ne comprit vraiment pourquoi les maladies disparurent de ce jour, et le Docteur ne le sut jamais. Il remarqua juste qu'il n'avait plus besoin de se gratter le sourcil droit, mais il mit cela sur le compte de l'Amour.


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