lundi 16 juin 2014

"L'artiste est-il maître de son oeuvre?" - Vous avez 4 heures

C'est l'un des sujets de philo pour la série S, les matheux.

Un artiste crée une oeuvre, qu'on appelle une oeuvre d'art. Mais l'Art est-il partout ? On parle par exemple de maîtrise d'oeuvre, pour ceux qui mettent en oeuvre un chantier. Et on parle maîtrise d'ouvrage pour ceux qui donnent des ordres aux maîtres d'oeuvre. C'est le cas pour tous les projets techniques : l'ouvrage est le pont par exemple et la mise en oeuvre est la simple construction suivant les consignes données par le maître d'ouvrage, souvent sous la forme d'un cahier de doléances des charges.

Dans les domaines techniques, l'oeuvre n'est donc que le résultat d'une commande venue de plus haut. Or il y a des domaines artistiques où la technique est très importante. Une oeuvre est donc souvent le résultat de processus créatifs, artistiques et techniques, pour lesquels la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre se complètent. La commande d'une oeuvre par un mécène, ou une autorité quelconque peut être plus ou moins autoritaire, on parle d'oeuvres de commande, ou laxiste, laissant ainsi à l'artiste créateur une liberté complète de création. C'est d'ailleurs ce que revendiquent tous les artistes, même et surtout quand cela déplaît à celui qui a passé la commande. La relation oeuvre/commande n'est donc pas la même à chaque fois.

Or l'artiste d'aujourd'hui couvre beaucoup plus de domaines qu'à l'époque où l'Art était limité à certaines pratiques. On trouve des artistes partout, et de manière non intermittente. Leurs oeuvres peuplent notre réalité, et c'est tant mieux. La création est devenue de plus en plus collective, comme la recherche scientifique. Et les artistes ont de plus en plus besoin d'être reconnus. A notre époque, il y a souvent confusion, comme dans la caverne de Platon, entre la réalité et les apparences, entre l'oeuvre et le marketing de l'oeuvre. L'artiste créateur sait souvent faire la différence, mais le public ou les commanditaires pas toujours.

Prenons un exemple : un blog est-il une oeuvre et son auteur un artiste ? Autant il est facile d'admettre qu'un blog est une oeuvre de l'esprit, une création originale, autant il semble osé de reconnaître à son auteur le statut d'artiste. En France par exemple, il y a des corporations professionnelles qui dictent leurs règles (dont la première est : qui a le droit d'entrer dans notre société ?). Parmi elles on trouve les corporations des "gens de lettres", des "auteurs multimédias", des "journalistes" ou des "artistes". Un blogueur n'est rien de tout ça. Ou s'il l'est c'est parce qu'il a acquis ce droit ailleurs. Chacune de ces corporations protège son territoire. Chacune s'arroge des droits et s'est battue pour les faire reconnaître. Et chacun produit des oeuvres qu'il trouve légitimes.

Le mot maître est le maître mot dans cette affaire. L'artiste qui ne serait pas maître de son oeuvre n'en mériterait pas le titre. Du moins, l'artiste doit-il le croire pour rester maître de lui-même. Un blogueur qui ne serait pas maître de son oeuvre, de son blog donc, vu en totalité, ne serait pas un blogueur crédible : il ne serait qu'une publicité déguisée, un marketing douteux. Mais tout ceci n'est qu'illusion. L'oeuvre est le vrai maître de l'artiste et tous les artistes le savent. Tous les blogueurs aussi. Entre l'idée initiale et le résultat, le processus de création d'une oeuvre n'est qu'un long cheminement tortueux, ou qu'une étincelle instantanée. Dans tous les cas, l'artiste est celui qui voyage sur la route de la création, à la vitesse de la lumière ou à celle de l'escargot. Alors oui, l'artiste peut se persuader qu'il est maître de son oeuvre, mais il doit aussi reconnaître que dans beaucoup de circonstances il est conduit par son oeuvre, comme Mozart pour qui la musique était dans sa tête avant de sortir. Mais comme la musique ne devient oeuvre que lorsqu'elle est "publiée", même si ce n'est qu'une seule fois comme dans l'Art éphémère, l'artiste ne suffit pas à être maître de son oeuvre. Le diffuseur joue un rôle fondamental, comme le commanditaire éventuel en son temps. L'artiste est donc le maître dans le même sens que la tranche de jambon est le maître du sandwich, coincée entre ses tranches de pain. Quid du beurre, du pain et des cornichons ? Eux aussi sont importants et je parie que les cornichons savent bien, eux aussi, qui est le vrai maître du sandwich.

Bon appétit !

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