jeudi 12 février 2015

Les avoirs numériques en cas de décès

Vaste question juridique sur laquelle les avis des experts divergent (évidemment, comme toujours en matière juridique, sinon comment les avocats s’enrichiraient-ils ?)

Que deviennent vos avoirs numériques après votre mort ? Comment les héritiers peuvent-ils en profiter ? De qui sont-ils la propriété ?

Facebook apporte enfin, après des années de débats, un début de réponse. Désormais, tout titulaire d’un compte pourra désigner un « légataire » qui aura le droit de prendre le contrôle d’une partie de son compte après sa mort, pour annoncer la mort, des funérailles, des cérémonies, ou recueillir des messages de soutien et de condoléances par exemple.

Ce n’est pas une question oiseuse, car personne ne lit jamais les conditions d’utilisation de ces services, alors qu’elles sont très strictes. Seule la personne titulaire du compte y a accès normalement et elle doit déclarer sa vraie identité. Prévoir sa propre mort en laissant ses codes d’accès à ses héritiers pour qu’ils puissent se connecter à votre place ne suffit donc pas puisque ces services peuvent légitimement vous interdire l’accès au compte s’ils apprennent que le titulaire est décédé, ou qu’il s’agit d’un autre utilisateur qui a pris sa place. Comme toujours, on ne pense à ça que trop tard.

La réponse de Facebook est en réponse à de nombreuses protestations et compatible avec le vieillissement du service qui est de moins en moins couru par les très jeunes (qui ne pensent pas à la mort) et de plus en plus par les vieux... Pour mémoire à 30 ans on est déjà vieux pour un jeune.

Plus largement, la question reste ouverte. La personne qui a stocké dans le nuage des milliers de photos ou de documents ne peut les récupérer que si son compte est actif. Idem pour ses héritiers, si tant est qu’on sache qui ils sont. Or aujourd’hui, une part de plus en plus importante de nos avoirs est sous forme numérique et stockée sur des services externes et le nuage, grâce à des comptes créés un peu partout. Il y a une dimension émotionnelle - pour les proches - mais aussi patrimoniale - pour les historiens, documentalistes et personnes célèbres ou remarquables.

Un utilisateur standard crée des dizaines de comptes sur plusieurs services, tous avec des conditions d’utilisation différentes. La mémoire de tous ces comptes peut tomber dans l’oubli après le décès. C’est certainement souhaitable pour certains comptes mais pas pour tous. Les techniciens ne se sont pas intéressés à ces questions car la culture de l’éphémère est très répandue chez eux. Après tout 99,99% des gens croient qu’il suffit de copier quelque part ses codes d’accès pour que les autres les trouvent après un accident.

Le virtuel est encore plus virtuel que la mort. On y croit moins encore. Pourtant la proportion de notre vie qui se déroule dans ces mondes virtuels est de plus en plus grande. Et à force de semer des bouts de vie un peu partout, il devient de plus en plus difficile de les rassembler dans un tout cohérent. Les spécialistes parlent d’une crise de l’identité. Nous avons plusieurs identités en fait, qui se complètent suivant les environnements. Et les identités virtuelles mènent une vie à part des autres. Les héritiers de ces identités sont d’un nouveau genre. Tant qu’ils ne sont pas virtuels eux-mêmes !

Tous les joueurs de jeux en réseau le savent. Leurs avatars ont des vies à eux. Et donc des morts à eux aussi, même si la plupart des joueurs refusent l’IRL (la vraie vie, In Real Life) et surtout le mélange des vies. Facebook est plus soft que les jeux en réseau, mais les mêmes questions s’y posent. Face aux marchands du temple virtuel, une nouvelle éthique est à inventer et il est paradoxal que Facebook soit leader dans ce domaine...

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