lundi 9 mars 2015

Le poids des mots, le choc des discours (d'Obama)

Le week-end, les hommes politiques (qui sont de temps en temps des femmes) parlent. Vous me direz que le reste du temps aussi.

Certains diront qu'ils feraient mieux d'agir que de parler, comme si le discours politique n'était pas un symbole, une fin en soi et l'accompagnateur incontournable des actes politiques. De manière générale, chaque fois qu'un discours semble important, il est critiqué et la principale critique est justement que l'orateur devrait plutôt s'occuper du réel et du peuple que des médias. Essayons pour une fois d'enlever ce "bruit" et de parler du "signal" sous-jacent pour décoder certains discours récents, en commençant par les moins importants.

Cécile Duflot a répété que les écolos ne participeraient pas au gouvernement - sauf s'il était écolo - car la claque annoncée pour les départementales va très vraisemblablement déclencher un remaniement gouvernemental et certains écolos aimeraient bien faire partie du gouvernement. Pas elle en tous cas. Ce discours répété commence à lasser dans son propre parti, mais il permet de parler en public.

Manuel Valls a prononcé un discours sur le mode de l'angoisse et de la peur face au Front National et à la montée des racismes en France. C'est un registre nouveau dans la bouche d'un Premier Ministre, fortement critiqué de partout puisque les hommes politiques croient que leur travail est de tenir des propos optimistes, lénifiants ou au contraire contre le gouvernement en place. Notre Premier Ministre n'est clairement pas du côté des optimistes niais. Il préfère le combat et l'épreuve, tout en diabolisant une fois de plus le seul ennemi visible, le FN, en attendant que l'UMP change de nom en mai et qu'elle ait une stratégie de gouvernement (pas avant 2016 selon son patron Sarkozy). Un discours intéressant, qui marque une rupture. Le FN a gagné un agent électoral de plus et pas des moindres. Il est clair que la stratégie post-électorale du futur gouvernement se dessine, autour d'un resserrement autour des valeurs républicaines contre celles du FN. C'est un choix.

A l'étranger on notera ce discours (réel ou non) du chef unique et charismatique de Boko Haram qui a déclaré intégrer la logique de l'Etat Islamique et de son califat terroriste. C'est un bon moyen pour cette ex-secte de se légitimer au plan international et africain, ainsi que d'obtenir plus d'aides et de recrues. Mais au plan du symbole c'est très fort. Il s'agit de développer l'idée d'un choc d'empires - ou de civilisations - entre l'occident et le monde musulman (sunnite) en s'éloignant donc de l'idée de terroristes contre des états démocratiques. C'est là encore un combat de mots et de symboles mais un combat qui vise à déplacer la légitimité d'un côté vers un autre, ou au moins d'équilibrer les légitimités. Un pari en discours, mais une stratégie efficace et délicate à contrer par des Etats qui continuent à ne parler que de terroristes. Vaste débat dont l'Histoire avec un très grand H est remplie.

Mais surtout on retiendra de ce week-end le discours historique de Barack Obama à Selma, 50 ans après la marche tragique des noirs américains pour réclamer le droit de vote sous la conduite du pasteur Martin Luther King, assassiné peu après. Les médias américains ne s'y sont pas trompés et parlent d'un discours réellement historique, le comparant même au "I have a dream" de King. La Maison Blanche en a fait un site spécial que je vous encourage à visiter. Il y a la vidéo du discours d'une demi-heure mais on trouve le texte intégral ici en anglais. Pour le texte en français, je vous laisse chercher... On a même vu George W. Bush à Selma. Pas de leader républicain par contre. Il faut dire que la lutte contre le racisme aux USA est d'actualité, avec de plus en plus d'Etats qui mettent des bâtons dans les roues de l'égalité, pour le droit de vote notamment : les pauvres ont de plus en plus de difficultés à voter car il faut des piles de justifications pour cela, or les pauvres sont en majorité des noirs, CQFD... Et ils disent ne pas être racistes... C'est peut-être vrai sur le plan légal mais pas moral.

Vous noterez la sortie simultanée au cinéma d'un film hollywoodien mais émouvant sur Selma justement, avec un paquet de stars noires américains dont Oprah : le premier film sur Martin Luther King après tant d'années... Intéressant, non ? Mais le discours d'Obama est bien réel, lui :


Obama a usé dans son discours d'un formule récurrente et puissante "We are...", expliquée ici :
"Because the single most powerful word in our democracy is the word “We.” We The People. We Shall Overcome. Yes We Can. It is owned by no one. It belongs to everyone. Oh, what a glorious task we are given, to continually try to improve this great nation of ours."
Cette anaphore nous en rappelle d'autres et résonne particulièrement aux oreilles de tous ceux qui ont porté une pancarte "Je suis Charlie" ou "Nous sommes Charlie" suivant leur sensibilité.

Oui un beau discours, à garder dans un coin. Pas comme d'autres à oublier...

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