dimanche 9 août 2015

Du temps de cerveau pour... Un nouvelle fable

Le singe était petit mais il voyait grand.

Il se trouvait trop petit, et à son goût et pour entreprendre de grandes choses. La plupart de ses congénères se satisfaisaient de la situation. C'était comme ça et pas autrement. Tout le monde ne pouvait pas être un gorille, un de ces colosses qui se déplaçaient d'arbre en arbre comme si rien ne les retenaient. Leurs puissants bras musclés devraient aussi être parfaits pour étreindre leurs compagne. Lui n'avait pas de compagne et il se demandait bien comment il pourrait serrer qui que ce soit avec ces fétus de paille qu'étaient ses pattes de devant qu'il n'osait même pas appeler des bras. 

Mais tout cela ne l'empêchait pas d'avoir de grandes ambitions. Il fallait juste attendre le bon moment. Alors chaque jour il allait dans des endroits nouveaux en espérant toujours rencontrer la grande aventure. Chaque jour depuis neuf lunes déjà. Il n'avi eu que de petites mésaventures, et seule sa petite taille l'avait sauvé, paradoxalement, à chaque fois. Mais il ne se décourageait pas.

Ce jour là, il décida de retourner au lac. Cela faisait trop longtemps qu'il n'y était pas allé. Il ne savait pas nager, encore moins voler, mais l'eau l'attirait. C'était quand même un peu dangereux car il n'y avait pas vraiment d'arbre où se cacher. Il prit soin de choisir son heure, pas folle la guêpe. Pas l'heure où les grands fauves vont boire, ni celle où les crocodiles sont en chasse, ni celle où les éléphants écrasent tout avec leurs grosses pattes. Il fut au lac au moment précis où le vol de flamants roses était en approche. Une nuée rose dans le ciel presque vert de soleil et de reflets. Les autres animaux s'éloignèrent. Respectueusement. Et aussi parce que la masse des flamants était impressionnante. 

Le singe les regarda se poser. Le lac bouillonna soudain, changea de couleur.  Le singe était fasciné. Autant d'oiseaux d'un coup, c'était "grand". Grand ? Cela lui donna une idée. Il attendit un peu que tout redevienne tranquille et il s'approcha très précautionneusement des flamants. Il en choisit un, à l'écart des autres et se mît a lui parler.

- Pardon monsieur le flamant, accepteriez-vous de m'emporter sur votre dos ?
- Quoi ? Répondit l'oiseau avec une voix de crécelle.
- Oh excusez-moi, répondit bien vite le singe en s'éloignant sur ses petites pattes.

Cela n'allait pas être facile, se dit-il. Mais il y avait tellement de flamants ! Il y en aurait certainement un pour l'écouter. Il prit alors son courage dans ses deux petites mains et recommença avec un autre flamant rose. Puis un autre, et encore un autre.

Le singe ne se décourageait pas, mais quand même ! En plus il n'aimait pas la voix de ces bêtes-là. Quelle idée avait-il eue ! On aurait dit des corbeaux avec leur "quoi" qui sonnait faux. Il s'assit sur une pierre pour se reposer un peu au bord du lac car ses coussins de pattes étaient un peu gourds. Heureusement il avait emporté son repas avec lui et se mît à déguster quelques puces en regardant le soleil se refléter dans le lac. Il faudrait bientôt rentrer, soupira-t-il. Le poids du ciel était bien lourd sur ses petites épaules.

- Bonjour, comment t'appelles-tu ? dit une jolie voix flûtée derrière lui.

Il se retourna d'un coup. Un imposant flamant se tenait juste là, à portée de bec. Il recula instinctivement et tomba dans le lac. Un grand moment de panique le saisit entre deux goulées d'air. Puis il fut soulevé hors de l'eau et déposé sur la berge. Si doucement qu'il crut avoir rêvé. Le flamant le regardait avec ses grands yeux.

- N'aie pas peur, je ne te ferai pas de mal. Comment t'appelles-tu ?
- Je m'appelle Singe répondit-il. Puis il ajouta au cas où "Monsieur le flamant".
- Monsieur le flamant ? Mais je suis une dame, voyons ! Cela ne se voit pas ? dit-elle avec ce qui était indubitablement un rire, en tous cas dans ses yeux.
- Oh, excusez-moi, répondit-il, je ne suis pas très doué pour reconnaître les... euh... les flamantes des flamants.
- Ah tu me fais rire, toi ! Je m'appelle Rose au fait puisque tu me le demandes si gentiment.

Le singe était tout ému. Ça c'était une voix ! Une si belle voix. Rien à voir avec les couacs des autres. S'il avait été plus grand, plus expérimenté ou simplement moins ému, il aurait su à ce moment précis qu'il était tombé follement amoureux de Rose. Mais il était petit, vous le savez, et un peu trop timide. Par contre Rose était une flamante d'expérience. Elle avait de nombreuses heures de vol. Elle, elle vit tout de suite dans les beaux petits yeux noisette de Singe qu'il l'a dévorait des yeux. Elle sourit encore.

- Et tu fais quoi par ici ? On ne voit jamais de jolis petits singes comme toi autour du lac, réussit-elle a dire avec un peu de sérieux. Elle n'ajouta pas que du haut du ciel il n'y avait aucune chance de voir un si petit animal.

Singe la regarda. Elle avait de beaux yeux. Il s'ébroua autant pour se sécher que pour se réveiller d'un rêve encore très brumeux. C'est peut-être le moment se dit-il. 

- Je voudrais voler, madame la flamante. Est-ce que je pourrais monter sur votre dos ?

A son tour, Rose le regarda un moment. Il était charmant ce petit singe. Et ses pattes étaient si douces.

- Rose. Appelle-moi Rose. Monte sur mon dos que je te porte.

Le singe qui s'appelait singe monta sur le dos de Rose la flamante. Il s'accrocha à son cou. Rose était très grande, mais son cou avait juste la bonne taille pour ses pattes. Son étreinte fit frémir Rose. Elle fit un pas, puis deux. Elle courait sur le lac. Elle battit des ailes et le ciel fut à eux.

Singe, ce jour-là, découvrit l'immensité du monde, vu d'en haut. Même les plus grands des animaux étaient plus petits que ses puces, vus d'ici. Il découvrit aussi l'Amour, là-haut dans le ciel. Et Rose volait avec allégresse, comme si chaque battement d'aile pouvait l'emporter - les emporter - à l'autre bout du monde.

Alors, si vous levez les yeux au ciel, cherchez des yeux les grands oiseaux, ils ont peut-être autour du cou un petit singe accroché, emporté dans un vol nuptial sans fin. Cherchez et vous trouverez. Ou sinon, vous pouvez toujours regarder vos pattes, au risque de tomber dans la boue du lac.

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