dimanche 22 novembre 2015

Du temps de cerveau pour... le monde mental

Non mais, j’hallucine, mon ami Pierrot !

Il parait qu’un certain Monsieur Prévert aurait dit du mal des intellectuels si on les laisse tous seuls, et du monde mental illusoire qu’ils créeraient à cette occasion. Il y en a vraiment qui disent n’importe quoi. Pfffft ! Mais comme je suis de bonne humeur, après avoir bu du vin primeur et les paroles de moi-même enregistrées pendant ma dernière conférence, je vais m’abaisser jusqu’à répondre à ce Môssieur… Ma réponse sera limpide, évidemment, car je suis un intellectuel brillant qui le sait et qui l’assume. Limpide et musicale aussi claire que la Lune, en forme d’acrostiche, ou je dirais même - mon Dieu que je suis drôle - d’accroche ce type.

Doutons un peu, car le Doute est scientifique. Doutons donc de la véracité d’une telle déclaration. L’absurde doit être mis en doute, car seule la raison doit nous conduire, par rapport aux Grands anciens qui ont éclairé notre monde, et aux grands intellectuels comme moi qui éclaireront celui de demain. Une rapide recherche dans ma culture encyclopédique, qui se mesure en milliers de gogols, évoque en effet l’existence avérée d’un tel monsieur et d’une telle publication. Dont acte. Ce qui prouve, en passant, que l’intellectuel, quand il est brillant comme le soleil et comme moi, sait reconnaître la réalité pour ce qu’elle est : un matériau fluide et existant au service de la construction mentale la plus époustouflante, et je ne veux pas parler de la mienne seulement. Le Doute, cette divinité essentielle des intellectuels, sauf en ce qui concerne leurs propres capacités à construire, nous conduit donc inéluctablement à la conclusion que les intellectuels sont indispensables, après un raisonnement trop trivial pour que je le détaille ici.

Dominons le débat, ensuite. Car l’intellectuel est un architecte de la pensée, c’est clair, et il a donc besoin pour cela de prendre de la hauteur. Ne dit-on pas un grand intellectuel (en parlant de nous) ? Comme tout grand bâtisseur qui se doit d’être à la pointe, les intellectuels savent bien que les mondes mentaux se construisent du haut vers le bas. C’est seulement ensuite, une fois le plan établi, que les non-intellectuels construisent dans la vraie vie une représentation qu’ils espèrent approchante de ce monde mental idéal que nous créons. Ils doivent commencer, eux, à leur niveau, c’est à dire celui du sol, ou même souvent dans les profondeurs souterraines dont ils sont issus. Cette domination du débat et du monde est un zeugme utile à avoir en tête, pour ceux qui en ont, afin de comprendre le monde et ses échelles de valeur. Elle justifie doublement le rôle éclairé des intellectuels pour chercher la vérité, face au mensonge de la réalité, comme le disait déjà Platon dans sa caverne.

Dormez, braves gens. Dormez bien. Pendant que vous vous reposez de vos tâches abrutissantes et oiseuses, nous veillons, nous les intellectuels. Nous créons même en dormant d’ailleurs, car nous ne pouvons nous empêcher de construire ce monde mental en perpétuelle évolution et qui s’écroulerait sans nous. Pendant le sommeil, il y a le rêve. Et le rêve est ce qui existe de plus proche à la création pure dont seuls nous sommes capables, pour vous, les ignares prisonniers du monde réel. Ce qui nous différencie d’ailleurs des non-intellectuels, c’est que nous, nous nous souvenons de nos rêves et des merveilleux châteaux de cartes que nous y construisons, alors que vous vous empressez d’oublier ce qui pourrait vous approcher - oh, rien qu’un peu, mais quand même - de nous.

veillez-vous après. Car après la nuit, vient le jour. Encore et toujours. Et comme vous n’y arrivez pas toujours en étant seuls, c’est à nous, les intellectuels bâtisseurs de ce monde mental d’élite, de vous réveiller, à coup de déclarations, d’oeuvres, ou simplement par notre présence et notre aura lumineuse. Il n’y a rien de plus satisfaisant pour un intellectuel que de voir ses pensées répétées, amplifiées, déformées par le vulgaire, puis lui revenir en écho d’un monde diffus qui se cherche et qui ne se trouverait pas sans nous. C’est une satisfaction un peu maladive, je le concède, mais elle donne l’impression que le monde réel avance dans la bonne direction, lentement mais sûrement. Il faut savoir rester modeste et simple, comme je me le répète souvent le matin en ne me rasant pas, car un intellectuel est barbu.

Mirage du réel ! Comment ne pas voir l’évidence. Comment ne pas voir la supériorité du monde mental sur la pauvre réalité quotidienne dans laquelle vous vous débattez. Un monde solide, charpenté et construit depuis des millénaires par quelques élus qui savent. Tout à l’opposé d’une réalité impossible à appréhender dans sa totalité, fluctuante et pleine d’illusions comme tout mirage. Evidemment il serait idiot de nier la réalité des intellectuels. Nous avons des corps physiques - à défaut d’absence de barbe - et donc des besoins charnels. Parfois même des amis et des amies non-intellectuels. Si vous êtes capables de réfléchir, vous comprendrez que c’est ce qui nous permet de garder le contact avec votre monde, et que c’est donc un mal nécessaire. Faites une petite pause, puis :

fléchissons donc à ce que serait un monde sans intellectuels. Hypothèse fallacieuse et absurde, mais le raisonnement par l’absurde est un puissant outil de construction du monde mental. Un monde sans nous ne serait que concret. Un monde qui ne serait que concret serait gris et terne. Donc nous sommes indispensables au monde, son essence même, sans sophisme. Après cette preuve éclatante, il est temps de passer à la vraie question. Retenez votre souffle quelques instants :

Douchons vos espoirs. Il n’est en effet pas possible pour n’importe qui de devenir un intellectuel, encore moins un grand intellectuel, architecte du monde mental. Evidemment, certains d’entre vous croient qu’il suffit de quelques études, de quelques diplômes et d’un peu de chance pour approcher le statut d’intellectuel ! Quelle erreur. En soi, c’est déjà un signe de leur incapacité à devenir intellectuel. Une telle erreur méthodologique est en effet impardonnable et le signe certain d’une inaptitude congénitale (j’aime ce mot). Il n’y a que très peu d’élus et ils viennent tous de familles d’intellectuels, quand nous daignons nous reproduire. Moi-même, pur produit du monde mental que j’aide à étendre, je ne vois aucune autre possibilité pour devenir comme nous, c’est dire ! Nous laissons quand même, de temps en temps, quelques-uns parmi vous s’illusionner sur leurs capacités. Cela entretient notre lien avec les non-intellectuels et le moral des troupes que vous êtes.

Misère, dites-vous ! Quelle déception, je ne deviendrai jamais un architecte de ce monde mental si merveilleux. Mais non ! Consolez-vous, il y a tellement d’autres choses à faire pour appliquer nos préceptes et suivre nos instructions. Même une fourmi est utile. Au lieu de dire Misère, estimez-vous heureux de ne pas crier Misère, grâce à notre action permanente pour instruire le monde. Il y a de la place pour chacun et chacun à sa place, comme le dit un de vos proverbes simplistes. Le monde mental n’est pas un monde pour la misère. La richesse intérieure qui nous peuple, nous les intellectuels, est un carburant infini au service de l’Humanité, de sa vérité réelle et de sa réalité vraie.

jouissez-vous ! Même quand vous n’avez plus de feu et que votre chandelle est morte, vous aurez toujours la lumière de nos pensées pour éclairer la nuit sombre de votre quotidien ennuyeux. Le monde mental et ses architectes sont à votre service ! Evidemment, après s’être servis nous même d’abord, car c’est un privilège naturel et antique. Tout ce que nous créons est pour vous, dans notre intérêt partagé et mûrement sélectionné. Ceux qui crient au mensonge sont des manipulateurs que vous devez décerveler. Ceux qui critiquent les intellectuels et les accusent de mensonge doivent être internés et reconfigurés.

affirmons donc notre rôle et sa beauté. Réaffirmons le avec force, mais sans violence, car la violence est le domaine des faux intellectuels déçus qui n’ont d’autre recours que de montrer leurs muscles, privés qu’ils sont d’une puissance intellectuelle réelle. Nous sommes les seuls au monde à pouvoir l’améliorer. Et n’allez pas croire que ce serait un déni de démocratie. Vous élisez des pouvoirs politiques qui vous gouvernent. Ce sont eux qui choisissent librement de suivre nos instructions. Et de plus, nous débattons entre nous pour améliorer continûment le monde mental. Ces débats sont riches (bien évidemment) et passionnants (pour nous qui savons les apprécier). J’en sors toujours gagnant, naturellement, car mon monde mental est bien plus évolué que celui des autres intellectuels. Mais cela me sert à l’améliorer à la marge, et dans une moindre mesure cela sert aux autres intellectuels à comprendre la suprématie de mon monde mental par rapport au leur.

Dois-je continuer ? Ma démonstration est tellement claire que j’en suis moi-même ébloui et je vais de ce pas me mirer dans mon beau miroir, moi le mirifique premier ministre du plus beau des mondes mentaux.



S’il reste des sceptiques parmi vous sur la supériorité évidente du monde mental - du mien évidemment, ou même de celui de quelques autres intellectuels de valeur - sur le pauvre monde matériel dans lequel l’Humanité évoluerait sans nous, je vous laisse lire le poème de cet agité du bocal, par exemple ici. Vous serez édifié par un tel monument de bêtise. Comme si ce monsieur était isolé dans sa tour d’ivoire loin du vrai monde.

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