dimanche 27 décembre 2015

Du temps de cerveau pour... une histoire molle

Il était une fois un prince pas charmant du tout, ni beau ni jeune, mais très riche. Il attirait donc beaucoup de candidates au mariage, principalement des jeunes filles présentées par leur mère aux dents longues et au portefeuille plat.

Tout ça se passait il y a bien longtemps, dans un royaume perdu, sur une île loin de tout.  La conséquence de cette situation fut quasi-automatique dans un marché très peu actif : aucune jeune fille ne plût au prince et il commença à penser à étendre ses critères de sélection.  Ses critères initiaux étaient en effet très restrictifs : il fallait que la candidate soit une femme, car il était profondément hétéro et qu’elle soit jeune, belle, séduisante, intelligente, musclée et bandante. Il commença donc à éliminer un à un les critères qu’il jugea les moins importants et à chaque fois, il revisitait la liste des candidates en ajoutant des croix. Exit la jeunesse, car après tout, une femme pouvait être belle sans être jeune, il suffisait de regarder sa mère qui elle-même le surveillait comme un chat épie le poisson du bocal. Exit la beauté, car après tout, sa mère l’était suffisamment pour deux ou trois. Exit la séduction, car il se sentait capable d’être séduit par tout ce qui bougeait et qui portait une jupe. Exit l’intelligence, se dit-il en y réfléchissant bien, car c’était dangereux et cela risquerait de poser des problèmes avec sa mère. Exit enfin la bandaison, car il n’avait pas de problème de ce côté-ci et aucune des filles qui travaillaient au château ne s’en était jamais plaint.

Il ne resta bientôt plus que deux critères sur lesquels il ne voulait pas transiger : femme et musclée. A priori il devrait trouver étui à son épée avec des critères aussi simples, mais pourtant rien n’y fît. Il décida alors, sur les conseils avisés de sa mère, d’organiser un grand concours sportif réservé aux femmes. Des messagers partirent au quatre coins de la planète pour attirer les meilleures sportives du monde entier. Les prix décernés étaient très alléchants.

Et un mois plus tard, le prince était installé dans son fauteuil princier, avec sa mère la reine à ses côtés, à moins que cela ne soit l’inverse. Cela se passait dans la grande arène de l’île, rénovée pour l’occasion. Le prince avait fait aménager des logements et des vestiaires juste à côté pour préserver les sportives des regards avinés de ses compatriotes. Si sa future épousée était dans le lot, il ne voulait pas qu’elle soit soumise à la tentation d’autres hommes. D’ailleurs les sportives ne savaient pas qu’elle étaient susceptibles d’être mariées au prince. C’était un détail sans intérêt qu’il avait omis de mentionner dans la proclamation pour le concours.

Le prince était le seul homme à pouvoir se promener dans le bâtiment des championnes. Il y passait de temps en temps et les regardait s’entraîner en prenant des notes. En tout bien tout honneur, précisons. Le prince n’était pas charmant mais il savait se tenir, grâce à l’éducation de sa mère, la reine. La reine, par contre, tenait à bien observer toutes les prétendantes qui s’ignoraient et elle passait son temps derrière des glaces sans tain et des rideaux opaques pour sélectionner les meilleures candidates.

Lorsque les trompettes retentirent pour l’ouverture du concours, la reine avait déjà en tête une liste d’une douzaine de candidates qui seraient adaptées à son fils. Le prince, lui, ne savait plus où donner de la tête, tellement il voyait des muscles partout où ses yeux se tournaient. La reine soupira. Elle allait s’occuper de tout !

Les épreuves commencèrent. Il s’agissait du tousport, le sport favori de l’époque, qui les rassemblait tous. Un mélange de courses, de combats, de sauts, de nages et de lancers. Celles qui gagneraient serait forcément musclées de partout. Après quelques rondes, il fut clair qu’une dizaine de candidates se dégageaient du lot. La reine vérifia rapidement avec sa liste : il y en avait six qui étaient dans les deux groupes. Elle fit signe à son prince de fils qui annonça la fin des épreuves pour ce jour. Les sportives rentrèrent dans leur vestiaires pour la nuit, mollement acclamées par un public qui préférait les combats de dinolions à mort, mais qui était quand même obligé d’applaudir grâce à la présence fortuite de gardes armés derrière chaque rangée de fauteuils.

Le prince fut ravi de sa journée et se coucha heureux. Il sentait que le lendemain son choix serait fait et qu’il serait marié. Il ne savait pas très bien qui choisir mais, se dit-il, il demanderait à sa mère qui saurait, comme toujours.

La reine justement, avait concocté un plan spécial pour trouver la meilleure candidate parmi les six qu’elle avait identifiées. Les autres ne comptaient déjà plus dans son esprit. Chaque sportive était seule dans une chambre très monacale, avec un grand pouf très mou pour lit et un gros duvet très épais pour couverture, plus quelques accessoires pour se préparer. La glace sans tain permettait de les observer facilement. La reine fit installer ses six préférées dans des chambres qui entouraient un petit cagibi royal d’où elle pouvait les observer toutes les six à la fois. Elle s’installa confortablement pour la nuit, car le cagibi était très bien équipé, et observa les jeunes femmes en train de se préparer pour la nuit.

Il faut dire qu’elle avait fait disposer sous chaque pouf une pomme très verte, donc très dure, et qu’elle attendait les réactions. Elle était très lettrée et se remémorait bien le conte de la princesse au petit pois qu’elle avait décidé d’utiliser à son profit. Ses observations seraient déterminantes. Elle ne fut pas déçue.

Les six candidates eurent des réactions très différentes :
- la première s’allongea et sentit tout de suite la pomme sous le pouf. Elle mit sa main en dessous et retira la pomme. Puis elle croqua dedans et la mangea. Elle eut très mal au ventre car la pomme était vraiment trop verte et ne dormit pas de la nuit.
- la deuxième ne sentit visiblement rien et dormit comme un loir toute la nuit.
- la troisième sentit aussitôt la pomme mais, plus intelligente que la première, comprit que c’était un test. Elle essaya de trouver une position à côté de la pomme mais le pouf était trop petit et elle ne réussit pas à dormir même une seconde.
- La quatrième ne comprit pas qu’il y avait une pomme mais ne réussit pas à dormir non plus. Elle sentait quelque chose mais croyait que c’était ses muscles endoloris.
- La cinquième s’affala et commença à ronfler mais elle fit rapidement un terrible cauchemar et se réveilla en sueur. Elle ne put se rendormir car son cauchemar l’avait emmenée dans un combat de boxe où elle recevait en permanence des coups de poings dans le dos.
- Enfin, la sixième s’affala sans rien sentir de la pomme, mais passa la nuit à bouger le duvet qui la grattait visiblement de partout, sans pouvoir dormir.

La reine fut satisfaite. Elle revint vers son fils au petit matin et lui dit qu’elle avait trouvé la bonne candidate pour lui. Le prince en fut charmé et lui demanda comment elle avait fait. Elle le regarda quelques secondes - mon dieu que mon fils est bête - et lui raconta son test. Il s’agissait de trouver une femme musclée ? Elle avait donc sélectionné la femme à la peau la plus dure, celle qui n’avait rien senti tellement elle était musclée, ni sur le dos avec la pomme, ni sur le ventre avec le duvet. C’était bien évidemment la deuxième candidate. En plus elle faisait partie des favorites du concours et allait maintenant forcément le gagner, puisqu’elle venait de faire exécuter toutes les autres candidates.

Le prince remercia sa mère d’un baiser chaste et se dirigea vers son fauteuil princier. Le public applaudissait à tout rompre la jeune femme qui était seule au milieu de l’arène. Elle avait l’air un peu surprise de se retrouver là, seule. Le prince lui sourit et leva le bras droit. Elle avait gagné.

C’est à ce moment seulement qu’elle sourit, elle aussi. Et l’Histoire du monde en fut changée car son sourire, à elle, était charmant. Le prince fut émerveillé. La reine regarda son prince de fils et eut un regret. Cette fille serait dangereuse, se dit-elle soudain. Il faudra l’éliminer rapidement après la naissance d'un fils. Ce en quoi elle se trompa, puisque c’est le soir même que la jeune épousée fraîche du jour étrangla la reine, avec ses doigts musclés.  Le prince était à côté, en train de regarder et de manger une pomme mûre à souhait. Puis la fiancée emmena de force son maintenant royal époux dans leur chambre nuptiale. Il y avait fort à faire pour mettre tout ce petit monde au pas, se dit-elle.

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