lundi 1 février 2016

Grâce royale, que serait une règle sans exception ?

Francois a donc pris la décision hier dimanche de gracier partiellement Jacqueline Sauvage. Je ne parlerai pas ici du fond de l'affaire qui a abruti nos médias depuis des semaines (date de sa dernière condamnation en appel). Tuer son mari après des années et des années de violences, incluant des viols sur ses filles, est toujours condamnable. En l'espèce, les différents jugements ont montré que rien dans le droit français ne permettait d'acquitter une telle meurtrière. Des circonstances atténuantes auraient pu être demandées mais elles ne l'ont pas été par les avocates de Madame Sauvage. La justice a fait son boulot, entre acquitter et condamner lourdement, car il n'y avait pas d'autre choix sur la table.

C'est une affaire exceptionnelle à tous points de vue et la décision de grâce a été suffisamment pesée et formulée pour ne pas devenir une règle, ou même une proposition d'évolution de notre droit. Lire ici la très bonne analyse de la chroniqueuse judiciaire du Monde. Certains ont voulu transformer ce combat en une possibilité de modifier notre droit, d'introduire une sorte de légitime défense différée, à froid. Le combat est devenu médiatique aussi, car c'est le seul moyen de dépasser les règles, depuis l'affaire Callas et Voltaire par exemple. On peut d'ailleurs penser que malgré cette décision, les combats de certains continueront, comme si les personnes en cause n'existaient pas, et n'étaient que des supports à des combats venus d'ailleurs.

Comme pour la santé, le droit est un domaine où chacun s'improvise en un tour de main spécialiste lors d'un dîner en ville. On a tout dit et son contraire sur ce sujet et chacun y va de son combat, féministe, anti-violence, sécuritaire ou légal. Les spécialistes eux-mêmes ont été divisés, même si quasiment tous les grands spécialistes étaient pour une grâce qui ne renierait pas les principes fondamentaux de notre justice. Madame Taubira elle-même avait plaidé pour une telle grâce habilement formulée, loin du tumulte médiatique de sa "démission" et de son nouveau pamphlet contre la déchéance de nationalité.

Ce qui compte dans cette histoire, au-delà de l'humanité dont a fait preuve François, ce sont deux principes : le privilège du président-roi, et le rythme d'évolution du droit.

Le privilège de gracier date des rois. Ils pouvaient gracier, mais aussi condamner n'importe qui sans justificatif, à la Bastille ou ailleurs. En gardant ce droit (de grâce, pas de condamnation) dans toutes nos constitutions, la République a transformé de facto ce droit en un droit à l'exception hors des règles. Et une exception se doit d'être rare, sinon elle devient la règle, comme à l'époque où les amnisties étaient rituelles, annuelles pour dégorger les prisons de trop nombreux détenus. François n'avait gracié qu'une fois il y a deux ans (a priori en tous cas). Cela fait deux, et cela a dû lui faire mal, lui qui dénonçait avec raison ce privilège non détruit par la nuit du 4 août.  Une règle sans exception n'existe que dans certaines sciences "dures". Si une exception surgit, on change la règle (la théorie). Heureusement, la vie n'est pas purement "dure" et elle connait des exceptions tout le temps. On dit par exemple de la langue française qu'elle est pleine d'exceptions, et même d'exceptions aux exceptions ! C'est un trait très français que cette possibilité d'exception. Il faut vivre avec. Même dans un régime parlementaire, dans une autre Constitution, il y a gros à parier qu'une telle exception existerait encore.

Le droit évolue tout le temps, à coups de lois et de jurisprudence. Mais faire évoluer le droit en introduisant un champ complètement nouveau (comme la notion de différée) à l'occasion d'un seul procès serait une erreur. On peut comprendre que cela fasse fantasmer certains juristes, qui laisseraient ainsi leur nom dans l'Histoire du droit. Mais c'est politiquement, socialement et juridiquement un mauvaise chose. Dans un autre domaine par exemple, toutes les lois votées sur la fin de vie n'ont toujours pas réussi à résoudre le cas Vincent Lambert (actualité à suivre aujourd'hui d'ailleurs). Lorsque François publie son communiqué, ciselé par ses conseillers juridiques, il ferme la porte à toute révision de la loi ou du code pénal sur ce sujet. Il n'a d'ailleurs pas l'obligation de fournir une raison à sa décision souveraine. Ce qui différencie bien cette décision d'une décision de justice qui, elle, doit être argumentée et qui peut être ensuite interjetée. Quitte à avoir de temps en temps une exception (erreur judiciaire).

Grâce et droit sont deux mondes différents qui ne se rencontrent que rarement. Hier était l'une de ces occasions. Réussies amha.

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