jeudi 31 mars 2016

Lycéens dans la rue ou dans les palmarès ?

Comme chaque année fin mars depuis plus de vingt ans, le ministère de l'éducation nationale publie les indicateurs sur les lycées. Parlons-en un peu cette année, puisque les lycéens sont dans la rue :

- Les lycéens manifestent avec les étudiants et les syndicats professionnels contre la loi Travail. Un jeudi comme les autres en ce mois de mars qu'on peut maintenant appeler "le mois des quatre jeudis", en attendant les manifs d'avril. Certains lycées ont décidé de fermer préventivement, alors que la règle ne le permet pas. D'autres sont inaccessibles à cause de barrages filtrants (c'est-à-dire qui laissent passer les "petits" collégiens fragiles ou les grands en classes préparatoires, puisque justement ces élites ont vocation à trouver du travail - et même à devenir patrons).

- les statistiques du ministère sont donc parues et les principaux médias se sont précipités dessus pour vendre de la copie aux parents stressés de collégiens en 3°. J'en ai un justement, cette année, donc je sais de quoi je parle ;) Comme le note 20 minutes, parmi ces médias pressés, il y a Linternaute.com, l'Etudiant, l’Express, le Monde, le Point ou le Figaro. Chacun y va de son "palmarès" ou "classement" à lui. Pourtant les indicateurs du ministère (les IVAL) sont censés mesurer la valeur ajoutée de chaque lycée par rapport à l'accompagnement et au suivi des élèves de la seconde au bac. Ce ne sont pas des classements.

- mais la nature humaine adore les classements. Sauf que tous les experts savent bien qu'il n'y a pas de classement absolu ou idéal. Idéalement, justement, chacun devrait pouvoir définir ses besoins et, en fonction de ceux-ci, voir les caractéristiques de chaque établissement. C'est délicat à faire, car souvent les données manquent pour répondre à ces questions : quelle est l'ambiance d'un lycée, quelles filières sont privilégiées, qu'est-ce qui est prévu pour accompagner mon gamin... ? La presse adore pourtant les classements. Pour faire le parallèle avec les classements des universités qui font fureur aussi depuis la publication du premier à Shanghai, les classements se contentent trop souvent de classer les établissements sur une échelle linéaire, unidimensionnelle, via des scores "pondérés".  On notera d'ailleurs que presque tous sont issus de groupes de presse... Très peu savent dresser un paysage multidimensionnel fidèle (L'UE a tenté un essai avec le système U-Multirank) et fleurissent donc des classements farfelus en fonction d'un seul critère plus ou moins loufoque, mais toujours unidimensionnel.

- un palmarès n'a de sens que par rapport aux publics qui le lisent (et qui agissent ensuite en fonction de ses résultats). Que ce soit pour un festival de cinéma comme Cannes, un prix Goncourt ou une liste de produits à acheter dans un doux mélange prix-qualité, la question reste la même. En ce qui concerne les palmarès indicateurs des lycées, qui sont les publics visés ?

  • Les dirigeants de ces établissements ainsi que les pros du secteur qui peuvent ainsi s'évaluer par rapport aux autres et par rapport à leur propre passé, dans une perspective d'amélioration. Une démarche normale de management. Surtout dans un monde où 80% d'une classe d'âge réussit le bac et où il faut donc jouer à la marge pour améliorer la situation (Loi de Pareto). On note d'ailleurs que les meilleurs lycées ne peuvent pas vraiment s'améliorer, juste garder leur "rang".
  • Les médias qui s'empressent de gloser autour de ces résultats, chacun avec sa sensibilité, de l'accompagnement social pour certains à l'entrée en classe prépa pour les autres, plus élitistes.
  • Les parents affolés qui croient qu'il suffit de regarder une liste pour choisir le meilleur établissement dans leur zone, sans parler de ceux qui déménagent réellement ou faussement pour se rapprocher d'un lycée perçu comme plus attrayant.
  • Les élèves de 3° qui raisonnent plus en fonction des copains et des rumeurs mais qui, au fond, recherchent plutôt un établissement et une filière où ils se sentiront bien et prendront de la confiance en eux.
- le même débat revient tous les ans, avec chaque nouvelle cohorte de collégiens en fin de droits en 3°. Un vrai marronnier comme on dit dans la presse. Cette année, le ministère a supprimé un indicateur qui ne servait pas à mesurer la "valeur ajoutée" et qui était souvent détourné dans les classements publiés par la presse. J'encourage en tous cas les parents à bien réfléchir à leur projet et au projet de leur enfant avant de se précipiter sur le haut de la liste dans leur journal. C'est un moment clé pour en parler en famille. Un bon lycée est celui qui conviendra au profil de votre futur lycéen et à son projet. Point barre.

Non, ceci n'est pas une prison, mais le grand hall d'un lycée parisien où j'ai traîné mes godasses il y a un temps certain...






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