dimanche 7 août 2016

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle clé

Kurt était fatigué ce soir. Il avait passé une journée de merde à essayer de vendre ses burtzels et n'en avait fourgué aucun. Pas bon pour son chiffre d'affaires ni pour son statut de VRP de première classe, çà. En plus il y avait cette piqûre de moustique juste entre les deux yeux, se dit-il en se la frottant pour la centième fois de la journée avec l'index. 

Tout ça était de la faute de ce connard rencontré hier soir. Depuis le début de sa tournée, cela marchait plutôt bien pourtant et même hier avait été une journée correcte. Enfin, correcte pour le type de petite ville où il était, dans ce coin reculé du pays. Il avait fallu qu'il tombe au bar minable de l'hôtel minable sur ce pauvre mec. Ils étaient restés seuls une bonne partie de la soirée derrière leurs bières à échanger des histoires de VRP. Le moustique avait dû le piquer à ce moment là. Et ce con lui avait suggéré de venir ici, dans cette petite ville où peu de VRP passaient et où les affaires étaient toujours bonnes. D'après lui, le taux d'équipement en burtzels était très faible. 

Kurt l'avait cru et il était venu dans cette très petite ville. Tout le monde avait déjà un burtzel ici ! Une blague idiote de ce sale type ! Il avait perdu une journée. Et en plus il n'y avait pas d'hôtel. Juste un bar. Vide. Kurt s'était assis au bar mais le patron était peu bavard. Quelle chance. Il allait en plus devoir dormir dans sa voiture. Kurt était énervé contre lui/même et sa bêtise. Il s'était fait avoir comme un bleu. Entre deux gorgées de bière, il se grattait furieusement la piqûre de moustique qui enflait et il regardait le sac qu'il avait pris avec lui, plein d'espoir. Quelques burtzels évidemment et des affaires de rechange au cas où. Il allait devoir rapporter tout ça à la voiture...

"... est dans la maison juste à droite, vous savez, allez-y quand vous voulez". Kurt sursauta. Le patron du bar venait de lui dire quelque chose mais Kurt n'avait pas compris le début. 
- Pardon ? lui répondit-il 
- Oui, la maison à droite. Vous y serez mieux, précisa le patron
- Ah ? murmura un Kurt fatigué.

Il se dit que rien ne pouvait être pire que ce rade. Il paya, remercia le patron, sortit et se dirigea vers la maison à droite. C'était une maison standard. Il appuya sur la sonnette. Aucune indication sauf un losange rouge sous le bouton. Un bordel ? Un gîte pour la nuit ?

La porte s'ouvrit et il se retrouva dans une pièce très joliment décorée avec une ravissante jeune femme assise derrière un bureau. Un fauteuil l'attendait juste devant. 

- Bonsoir monsieur, lui dit la jeune femme en lui montrant le fauteuil. Kurt s'y assit
- Bonsoir mademoiselle, dit-il un peu surpris. Voici une soirée qui tourne bien, si seulement il n'y avait pas cette foutue piqûre de moustique, pensa-t-il en se grattant. 
- Je vois, Monsieur, vos clés seront bientot prêtes. Voulez-vous rester le temps standard ?
- Standard ? Euh, oui. Une nuit ici. Kurt se dit que c'était donc un hôtel, mais un hôtel étrange.
- Évidemment Monsieur. Que souhaitez-vous ?
- Euh... balbutia Kurt, en cherchant furieusement quelque chose à dire. Vous... acheter burtzel ? bredouilla-t-il. 
- Je vois, Monsieur, lui dit-elle en souriant et en commençant à taper sur une machine devant elle. 

Kurt ne voyait pas du tout ce qu'elle voyait. Son esprit embrumé et fatigué était concentré pour essayer de comprendre ce qui se passait. Mais il n'eut pas le temps de trouver une répartie. 

- Chambre Six, Monsieur, lui dit la jeune femme en lui tendant ses clés. Kurt la remercia, ramassa son sac et se dirigea vers la porte marquée "Chambres". Il n'avait rien compris mais il allait pouvoir dormir dans un vrai lit. Une bonne nouvelle. 

La chambre Six s'ouvrit avec la petite clé standard qu'il connaissait bien pour fréquenter beaucoup d'hôtels. Il entra et alluma la lumière. La porte se referma derrière lui. Il n'en crut pas ses yeux. La chambre était vide. Entièrement vide et d'un blanc aveuglant. Il n'y avait rien. Il se retourna pour ressortir, mais la porte avait disparue. Pas de poignée, pas de serrure. Juste une fente. Kurt appela mais tout restait silencieux. Il fit le tour de la chambre. Il serrait son sac contre lui de peur de le perdre. Au moins, c'était quelque chose de connu. 

Kurt revint devant la fente. Il y glissa la clé de la chambre mais elle était beaucoup trop petite. Il regarda alors le porte-clé avec le numéro de la chambre. Il était très original, lui. En fait il n'y avait pas de numéro de chambre écrit et c'était simplement un losange avec des bords dentelés, finement gravés même. 

Kurt était dégrisé maintenant. On aurait dit une autre sorte de clé en fait. La fille avait bien parlé de clés au pluriel, non ? Et la taille du losange semblait convenir pour la fente... Kurt n'hésita pas longtemps, on ne devient pas VRP de première classe sans prendre des risques de temps en temps. 

Il enfila le losange dans la fente... Et tout devint noir, puis...

...

Lorsque le temps standard fut écoulé - Kurt sut alors qu'il durait un an - Kurt se retrouva dans la pièce blanche. Il se souvenait de cette "chambre". Cette seconde fois, la porte apparaissait normalement. Il la poussa et se retrouva dans un petit couloir puis dans la pièce qui l'avait accueilli un an auparavant. La même jeune femme était assise derrière son bureau. 

- Bonjour Monsieur. Il fait beau ce matin. Tout s'est bien passé ?
- Bonjour Mademoiselle. Oui tout va bien. Parfaitement bien même, dit Kurt avec un grand sourire. 
- Je vois, dit-elle. Dans cas, bonne journée. 
- Oui vous aussi, Mademoiselle, au plaisir. 

Et Kurt sortit. Il n'eut pas besoin de regarder l'affichage de sa voiture pour savoir qu'on était seulement le lendemain du jour où il était arrivé ici. Une nuit ici contre une année là-bas ? Il avait décidément gagné au change et finalement ce con l'avait envoyé dans un vrai paradis !

Kurt sourit en se rappelant son année là-bas, sur une autre planète où personne ne connaissait les burtzels. Il avait cru halluciner quand les gens s'étaient précipités sur ses petits gadgets. Il les avait vendus à prix d'or et comme ils étaient très faciles à fabriquer, il avait fait fortune avec les royalties. Sachant qu'il pouvait quitter à tout moment ce paradis du VRP en burtzels, Kurt avait converti au fur et à mesure sa fortune en diamants, une valeur précieuse dans les deux mondes et gardait tout dans son sac qui ne le quittait jamais.  

Ce matin-là, revenu, Kurt était donc richissime. En plus, il devait y avoir d'autres "hôtels au losange" un peu partout. Il lui suffirait de les trouver et de demander n'importe quoi pour l'avoir. Kurt songeait déjà à d'autres rêves sur des planètes où tout serait possible. Il conduisait en souriant en s'éloignant de la petite ville, son précieux sac à l'abri dans le coffre. Puis il eut une idée. Autant la tester tout de suite se dit-il. Un hôtel au losange était juste là, derrière lui. Autant en profiter ! D'autant plus que la jeune femme était charmante et qu'il commençait à avoir des idées de plus en plus précises pour un séjour enchanteur...

Kurt gara sa voiture devant le bar. Le patron nettoyait dehors. Kurt le salua et se dirigea vers l'hôtel, comme il se plaisait à l'appeler. Il sonna mais n'entendit aucun bruit. La porte resta close. Il n'y avait pas de losange sous la sonnette. Le patron du bar le regardait. 

- La maison est vide depuis des années, vous savez ? lui dit le patron. Vous ne vendrez pas de burtzels ici. 
- Vide ? Mais j'y étais hier soir ?
- Hier soir ? Vous étiez ivre, mon cher ! 
- Ivre ? Kurt se mît à douter. 

Il se dirigea vers sa voiture et ouvrit le coffre. Le sac était là, ventru et plein de diamants. Il n'avait donc pas rêvé. Mais le regard que lui lançait le patron était sans équivoque. Kurt comprit qu'il ferait mieux de partir. Il trouverait un autre hôtel au losange ailleurs, se dit-il pour se rassurer. 

Mais n'en trouva jamais plus. Il mourut riche de nombreuses années plus tard sans jamais savoir.

Il ne sut jamais que le signe de reconnaissance pour le losange était de se frotter entre les yeux avec l'index, car il ne fut plus jamais piqué par un moustique à cet endroit. Ni ailleurs d'ailleurs. Il était tellement riche qu'aucun moustique ne vivait à des kilomètres de son château. Il en avait les moyens. 

Et il ne sut jamais que la planète où il avait écoulé par millions les burtzels - une planète nommée Terre par ses habitants - avait été détruite dans une immense guerre lorsque les terriens (quel nom ridicule !) avaient découvert qu'on pouvait trafiquer les burtzels et les transformer en armes mortelles. Une idee bizarre que de vouloir bricoler de simples lampes d'ambiance à énergie infinie. Une idée que personne n'aurait jamais eue ici !






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