samedi 14 janvier 2017

Lecture la nuit, le jour et entre les deux

Première nuit de la lecture en France. Une initiative de Jack Lang du ministère de la lecture culture. Sans ratures, à l'heure du tapuscrit joliment imprimé. Le tapuscrit qui déprime les chercheurs : comment savoir ce qu'un auteur a écrit, corrigé, ajouté ? Francois était cette semaine à la réouverture de la bibliothèque Richelieu et il y a vu des manuscrits célèbres, comme celui de la Chartreuse de Parme. Raturés. 

Mais la lecture c'est aussi une affaire qui se joue à plusieurs : des auteurs et des lecteurs évidemment, mais aussi des éditeurs, des libraires, des bibliothèques, des sites d'ebooks, des correcteurs, des traducteurs, des lecteurs, des documentalistes, des revues littéraires ou des rubriques, et même des blogs... Pourtant quand on est soi-même un lecteur face à une œuvre, il y a une mécanique qui se met en place, du domaine de la magie. Seul le plus souvent mais aussi à plusieurs. 

Daniel Pennac l'a bien décrite dans Comme un roman avec les Droits du lecteur. Il l'a lui-même personnifiée dans ses Malaussène où le livre lui-même joué un rôle fondamental chez ce bouc émissaire émettant des textes lus à haute voix et des intrigues qu'on n'oserait pas écrire dans un roman. Il vient de sortir la suite de cette trilogie qui a grossi avec le temps jusqu'au nombre six (six sous ?).

Des conseils de lecture ? Mission impossible car trop individuelle et l'effet n'en serait que plus limité, quoique le désir s'accroît quand l'effet se recule (Polyeucte, acte I, scène 1).

A déguster en ce moment, cette nuit ou à un autre moment si vous avez autre chose à faire ?

L'Histoire mondiale de la France (Seuil) un recueil organisé autour d'une centaine de dates importantes, mais pas toujours celles que l'on croit. Des textes écrits par des universitaires, donc plein d'esprit critique à la française, mais avec un style et un allant assez jouissif, il faut bien le dire. L'excuse chronologique des dates tombe vite puisque les auteurs se baladent dans le temps notamment autour de la réinterprétation de l'Histoire au cours de l'Histoire, lorsque cela arrangeait le pouvoir en place, de Vercingétorix à Jeanne d'Arc. Un livre à déguster par bribes ou dans le tourbillon de la vie. 

Le dernier Malaussène, à l'opposé, dans la série saga auto-reproductrice et auto-référentielle sinon automagique... Il est vrai qu'il a fallu attendre longtemps ce tome, qu'on avait d'ailleurs fini par ne plus espérer, mais le phénix Malaussène renait toujours de ses cendres. 

On ne pourra pas lire cette nuit le nouveau tome de RR Martin sur Game of Thrones, dans la saga intitulée en fait A Song of Ice And Fire. Un cas rare de dyschronie avec le livre rattrapé par la série télé. Mais ce n'est pas grave, vous dira tout vrai lecteur, puisqu'on peut l'imaginer et l'écrire dans notre tête. 

On pourra lire le premier/dernier Tintin en visite chez les soviets, dans sa version colonisée. Une première qui divise les tintinophiles comme de juste. Je vous rappelle la dernière case de la page 8, icône incontournable de la Tintinosphère ou l'on voit pour la première fois l'épi de Tintin dans le vent. Lire une BD c'est lire (message aux parents) aussi et plein de détails et d'imaginaire peuvent s'y cacher. 

Lire c'est souvent la nuit, parce qu'on a du temps, avec ou sans lampe de poche sous le drap. Lire c'est en fait plein de postures différentes : dévoration d'un trait sans manger ni respirer, grappillage à chaque temps libre et volé à la vie sociale, répétition pour se plonger dans les délices de la relecture de ses vieilles amours, découverte au hasard sur un banc, partage dans un club de lecture. Lire c'est lire n'importe où et dans n'importe quelle position ou dans un confort douillettement préparé pour installer une routine rassurante. Lire c'est du papier ou du numérique ou les deux mon colonel. En tant qu'adepte de la lecture numérique j'apprécie particulièrement la possibilité de se balader avec une bibliothèque dans la poche ou le sac à main, satisfaction du collectionneur boulimique. 

La lecture va de pair avec l'écriture. Mais le lecteur va-t-il avec l'écriveur, que certains appellent écrivain ou auteur ? Ils se rencontrent très rarement et ont encore plus rarement l'occasion de vraiment échanger. Est-ce nécessaire d'ailleurs ? La voix intérieure de l'auteur, retranscrite avec des mots, rencontre ou pas ses lecteurs. L'oreille intérieure du lecteur rencontre ou pas les auteurs qui la font titiller notre cerveau, notre cœur, notre sexe ou notre âme.

Alors, quel que soit votre âge, profitez de cette nuit pour rencontrer ces voix d'auteurs à travers le médium du livre. C'est une première. On peut supposer que si elle a du succès il y en aura au moins une deuxième.

Je me souviens de ces trocs/puces du livre que nous organisions pour les enfants. Sans argent, sans adulte pour pourrir le partage. Je me souviens de ces gamins assis par terre Place des Abbesses pour dévorer un livre avant d'aller l'échanger contre un autre pour dévorer celui-là avec encore plus d'appétit. Je me souviens de ces institutrices ébahies par les gamins engloutissant ces livres dans le préau, contre toute attente surtout pour les gamins réputés les plus difficiles, justement parce qu'ils étaient dans le partage sans enjeu. 

Plus je lis et plus le désir de lire s'accroît, comme n'a pas dit Polyeucte. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire