dimanche 4 août 2013

Les aventures de Monsieur Gentilliti à Paris - 1

Monsieur Gentilliti est assis à une terrasse de café, place de la Sorbonne. La place est vide ou presque et il est seul à la terrasse. Il vient d'arriver et personne encore ne l'a remarqué. Le garçon fume une clope en draguant la serveuse du tabac d'à côté, une intérimaire pour l'été, fort mignonne mais qui a l'air de savoir se défendre. Le garçon n'a d'yeux que pour elle et de toutes façons on est à Paris au mois d'août et il ne va pas se laisser emmerder par des clients alors qu'il est peut-être sur un coup.

Monsieur Gentilliti n'a pas l'air d'être gêné par le sans-gêne du garçon. Il est trop occuper à tout regarder, écouter, humer, capter et intraliser.

Il n'est arrivé qu'il y a cinq minutes comme on dit sur cette planète, et malgré toutes les informations qu'il a reçues avant son voyage, c'est une autre chose de les ressentir. Il se sent comme un boulesuif devant une platée de bouilles. Il a envie de tout dévorer à la fois et tous ses capteurs fonctionnent à plein régime.

Cela faisait des années qu'il s'était inscrit pour venir sur la Terre en mission. Lorsque Monsieur Grositi59 lui a dit ce matin qu'il allait partir, Monsieur Gentilliti a ressenti une grande joie et son flibule a même failli déborder. Il a tout juste eu le temps de passer au laboratoire pour changer d'apparence avant de rejoindre la boîte de départ. Il allait enfin voir la Terre et sa mythique civilisation des USA qu'il étudiait depuis des années. En passant devant Monsieur Grositi13, bien installé derrière son bureau à côté de la boîte, il découvrit sa mission précise. Ce serait Paris, Texas et il devrait y recruter des candidats espions capables de servir inconditionnellement les intérêts du peuple Biti, gloire à lui. Cette mission sembla parfaite à Monsieur Gentilliti et en se regardant dans le miroir placé là exprès, il eut le plaisir de constater que les vêtements qu'on lui avait choisis lui allaient particulièrement bien. Il ressemblait parfaitement à la photo de mannequin de la page 12A29, celle qu'il préférait et qu'il avait accrochée au-dessus de son lit. Il testa son accent new-yorkais sur Monsieur Grositi13 , mais celui-ci n'avait pas d'humour ni le temps de lui répondre. Il lui jeta quand même un regard torve et c'est là que tout a dérapé. En fait c'est le doigt de M. Grositi13 qui dérapa.

Et c'est pour ça qu'en sortant de la boîte, Monsieur Gentilliti s'est retrouvé attablé place de la Sorbonne à Paris, France au lieu d'être au bord d'une piscine texane.

Monsieur Gentilliti met presque 4 secondes avant de réaliser l'erreur et de se mettre en mode filtrage rapide pour extraire de tout ce qu'on lui a appris ce qu'il sait de Paris, France. Ce n'est pas beaucoup, à vrai dire, et au bout de 7 secondes, il change de mode et se met en mode apprentissage rapide pour intraliser tout ce qui l'entoure.

C'est au bout de 17 secondes que Monsieur Gentilliti réalise que sa tenue n'est peut-être pas adaptée à la situation. Son caleçon de bain est très fleuri et plein de couleurs, mais il a l'impression que ce n'est pas le genre d'habits qu'on porte à cet endroit. Heureusement la température est correcte. Il décide de faire comme si de rien n'était et attend le garçon. Il n'a pas appris la langue locale mais il espère que son anglais sera compris. Après tout, on lui a appris sur Biti, gloire à lui, que l'anglais est la langue dominante sur Terre et qu'il n'y a pas de problème à ne parler qu'elle. Il sait aussi qu'il peut apprendre toutes les autres si nécessaire.

Deux choses embêtent Monsieur Gentilliti : il a soif et voudrait bien goûter cette boisson mythique qui a fait de la Terre une destination recherchée, mais le garçon ne vient toujours pas ; et il voudrait bien signaler l'erreur qui l'a amené ici, mais il sait que la porte ne se rouvrira que dans un mois exactement, mois pendant lequel il est laissé complètement à lui-même. C'est le principe de base des missions sur Terre. Facile à comprendre, vu le coût des transmissions Terre vers Biti.

Monsieur Gentilliti attend donc. La drague entre le garçon et la fille semble ne pas être très concluante. Les mots échangés sont intéressants et Monsieur Gentilliti en profite pour apprendre la langue locale.

Soudain, la fille prend un air surpris, hausse les sourcils et rentre dans son Tabac, après avoir jeté au garçon un mot que Monsieur Gentilliti ne comprend pas. Le garçon rougit, phénomène qui fascine Monsieur Gentilliti, tant il ressemble à l'accouplement des bisours au printemps. Le garçon se tourne de droite à gauche pour voir si personne ne l'a vu. C'est à ce moment précis qu'il aperçoit la table occupée. Il tire encore une bouffée et se rapproche du client. Encore un touriste chtarbé, pense-t-il en approchant. Je pense qu'il est américain pour se balader comme ça en short sans rien d'autre.

Le garçon est devant Monsieur Gentilliti et le dialogue suivant s'installe.

- Monsieur désire ? dit le garçon est le regardant de haut en bas puis de bas en haut avec un impreceptible arrêt au milieu
- Coke please, dit d'un ton assuré Monsieur Gentilliti
- Et avec ça, Monsieur prendra quelque chose à manger peut-être ? demande le garçon avec un air sournois qui a jugé que ce client là en était un bon
- Hmmm, dit Monsieur Gentillini qui n'en panne pas une, mais qui, se souvenant brusquement du mot entendu dans la conversation précédente, ajoute : Couillemolle ?
- Pardon Monsieur ? Dit le garçon qui n'en croit pas ses oreilles car Monsieur Gentilliti a utilisé exactement l'intonation de la serveuse du Tabac. C'est un garçon expérimenté et il ne va pas s'en laisser compter par un touriste dévêtu. Heureusement, juste avant d'insulter cet hurluberlu, il regarde la porte de son café et aperçoit le patron qui est sorti humer l'air. Il ne peut décemment pas insulter un client devant son patron. Le garçon ajoute : Avec du Ketchup, monsieur ?
Monsieur Gentilliti reconnait le mot Ketchup. Il se sent rassuré et se dit qu'après tout peut-être qu'en France on mélange les deux. Il répond : Yes, et ajoute pour faire bonne mesure, and chips, thank you.
Le garçon connaît les principaux mots anglais. Chips il connaît. Il va se farcir ce client. C'est décidé. Tant pis pour lui. On va voir ce qu'on va voir.
- Bien monsieur, conclut le garçon en revenant vers le bar. En passant devant le patron, il lui glisse doucement : - On en a tiré un gros, on va lui refiler du sérieux. Tous les deux filent alors à l'intérieur pour préparer un repas soigné.

Monsieur Gentilliti rembobine dans sa tête la conversation qu'il a eu et n'est plus aussi certain de ce qui s'est réellement passé. Il va se lever et s'enfuir pour réfléchir calmement lorsque les fontaines de la place se mettent à jaillir. Il n'avait pas remarqué qu'il y avait des bassins sur la place. Celui qui est en face de lui est octogonal et plein d'eau. Monsieur Gentilliti se ditqu'il y a quand même une piscine là, juste à côté et qu'il est en maillot de bain. Alors il se lève, et comme on lui a appris, marche d'un pas chaloupé vers le bassin et y plonge soudain.

La serveuse du Tabac, qui était ressortie entretemps pour voir l'effet de ses mots sur le garçon a regardé Monsieur Gentilliti avec surprise mais un certain intérêt car Monsieur Gentilliti est beau, genre acteur américain bronzé. Et il est en maillot de bain. Elle pousse un cri cependant quand elle le voit plonger dans le bassin, car elle sait, elle, qu'il n'est pas du tout profond. Effectivement elle entend un cri plein de bulles et se précipite pour voir de plus près dans quel état est cet individu tout droit sorti d'un rêve. Monsieur Gentilliti flotte les bras et les jambes dans la position qu'a dessinée Léonard de Vinci. Il ne bouge pas mais il avance. La serveuse est quand même passablement intriguée. Monsieur Gentilliti accélère. Il a parcouru le premier tour de bassin en 17 secondes, mais il améliore son record et descend en-dessous des 10 secondes puis des 5 secondes. La serveuse a un peu le tournis et s'assoit sur le bord.

Monsieur Gentilliti, voyant une ombre s'arrête et regarde la serveuse. Il est mouillé mais elle est sèche. Il se lève et tout d'un coup il est sec. La serveuse ouvre la bouche pour crier mais aucun son ne sort. Il est vraiment beau !

A ce moment, le garçon sort du café avec un grand plateau rempli à ras bord et hèle Monsieur Gentilliti : - Monsieur est servi !

Monsieur Gentilliti, rafraîchi, sort du bassin et revient s'asseoir à sa place. La serveuse n'a pas bougé. Elle est maintenant complètement mouillée par la fontaine.

Le garçon annonce à Monsieur Gentilliti la composition de son repas :
- Voici la commande de Monsieur : Un Coca-Cola avec de la glace, du citron et de la vodka - Une côte de boeuf saignante et tendre, nous sommes désolés nous n'avions plus de cojones, accompagnée de frites, de chips et d'une pomme de terre farcie au foie gras. Une bouteille de ketchup et une autre de Tabasco, elles ont presque la même couleur et ça fait joli. Une salade de rognons de bouc à la sauce moisie et un baba au rhum spongieux comme les bijoux de monsieur. Est-ce que monsieur est content ? Happy ?

Monsieur Gentilliti n'a évidemment rien compris, sauf le dernier mot. Il répond "Yes" et le garçon satisfait repart dans le café préparer et saler l'addition. Pendant tout ce temps la serveuse n'a pas bougé. Elle bouge soudain, comme réveillée par un choc et se lève. Elle fait floc-floc en marchant vers Monsieur Gentilliti mais elle n'a pas le temps de s'en approcher que son patron à elle l'interpelle vigoureusement et lui fait comprendre en quelques mots bien pesés qu'elle a intérêt à revenir fissa au boulot. Ce qu'elle fait.

Monsieur Gentilliti regarde sa table et tout ce qui est dessus. Il trouve que ça fait un peu beaucoup mais attaque son repas, en commençant par le Coca-Cola évidemment. Il trouve que le Ketchup ajoute un bon petit goût mais, sur un coup de tête insensé, décide de ne boire que le Ketchup. C'est nettement meilleur.

Monsieur Gentilliti commence à se sentir bien. Au loin le garçon et la serveuse le regardent sans plus oser s'approcher. Ils forment un triangle isocelles qui n'ont jamais pêché leur jettent la première pierre. Monsieur Gentilliti en est le sommet, l'Everest. Les regards convergent ver lui pendant qu'il engloutit le contenu du plateau. Tout est bon et le Tabasco aide beaucoup la sauce moisie.

Repu, Monsieur Gentilliti lève la main et dit au garçon qui s'est approché, les yeux encore surpris "Tchèque please". Le garçon avait déjà tout prévu évidemment et pose sur la table un papier rectangulaire et vaguement blanc où est écrit à la main un nombre à trois chiffres, pour voir. Monsieur Gentilliti ne regarde pas le papier mais met la main sur sa poche droite. Se fait alors entendre un bruit de succion comme le cri d'une girelle sortie de l'eau. La main du client contient maintenant une carte de crédit qui a l'air d'être en or. Redevenu très professionnel à la vue de ce type de carte, le garçon sort sa Gameboy de son tablier, insère la carte, tape quatre chiffres pour faire bonne mesure et tend le boitier à Monsieur Gentilliti. Les doigts de celui-ci effleurent le clavier et un bip vert s'allume. Le garçon est satisfait, Monsieur Gentilliti aussi. Chacun sait qu'il a roulé l'autre et chacun est content. Envahi d'une soudaine sympathie pour ce pigeon américain qu'il croit avoir plumé, le garçon lui indique du doigt la boutique Gap de l'autre côté de la place avec un grand sourire tout en regardant fixement le maillot de bain de son client. Monsieur Gentilliti se lève. Il est un peu luisant. Le garçon ne bouge pas et la bouche de la serveuse du Tabac frémit légèrement.

Monsieur Gentilliti a compris qu'il n'a pas une tenue appropriée et se dirige donc vers la boutique indiquée sans soupçonner l'émoi qu'il va déclencher chez les vendeuses. Il se sent en forme et a déjà oublié l'incident de son arrivée. Après tout, recruter des espions à Paris, France est certainement possible également. Cette pensée le revigore. Il esquisse un pas de danse et entend à peine la serveuse s'évanouir. Il aperçoit simplement le garçon courir vers elle pour la ranimer avec force mouvements de lèvres. Juste avant d'entrer dans le magasin, Monsieur Gentilliti entend un claquement sec. Il n'a pas encore assez d'expérience sur Terre pour reconnaitre le bruit d'une gifle mais il intralise parfaitement la forme de la main de la serveuse sur la joue du garçon.

Monsieur Gentilliti sourit en poussant la porte du magasin.




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