jeudi 3 octobre 2013

Faut-il délivrer le Livre ?

Projet de loi consensuel aujourd'hui. C'est rare, c'est donc important. Cela concerne le Livre en France.

Le livre est un pan de la Culture et comme tel, en France, il bénéficie d'exceptions culturelles. La loi Lang protège les libraires et plus généralement les circuits de distribution de livre en imposant un prix minimum (avec 5% de battement pour les particuliers et 9% pour les institutions).

Comme beaucoup de bonnes intentions, cette loi a été détournée avec le temps et rencontre depuis quelques années des obstacles qui la font dévier de sa route. On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions et, pour rester dans le domaine du livre, avec ou sans majuscule, je me souviens de cette campagne de publicité il y a quelques années lorsque La Pléiade a décidé de moderniser son image : un des slogans avait été imaginé pour la parutions des oeuvres complètes du Marquis de Sade, édition sulfureuse s'il en est, et ce slogan était "L'Enfer sur papier Bible". Pour les ignares, l'Enfer est également le nom de ce rayon caché des bonnes librairies où l'on trouve la littérature érotique, loin du regard des enfants qui n'ont donc qu'Internet pour trouver ces ouvrages, mais passons, je m'égare.

La loi Lang protège donc les libraires "traditionnels" des grandes surfaces qui ne peuvent pas vendre moins cher qu'elles. Les grands distributeurs et les super-hyper-marchés vendent surtout des best-sellers mais l'équilibre s'est à peu près fait. La Fnac et autres grands distributeurs culturels a aussi trouvé son marché, qui se rétrécit quand même, avec la mort des Virgin Mégastore et la fermeture des magasins Chapitre annoncée pour bientôt. L'équilibre satisfaisait tout le monde à peu près jusqu'à l'arrivée d'Amazon. Et je ne parle ici que des livres papier. Les livres électroniques c'est encore autre chose, même si c'est de plus en plus indissociable. Amazon a démocratisé la vente en ligne de livres papier, des livres souvent introuvables en librairie. Amazon a une bonne équipe de financiers et d'avocats, donc ils ont choisi les solutions les plus rentables pour eux : siège fiscal dans un paradis comme le Luxembourg, envoi gratuit pouvant même descendre jusqu'à 24 heures pour leurs abonnés, installation d'entrepôts modernes et subventionnés par les collectivités locales dans des friches industrielles... Normal pour un grand groupe, ils font leur boulot.

Amazon clame qu'ils travaillent pour les consommateurs uniquement afin de leur proposer beaucoup de livres y compris impossibles à trouver ailleurs, au meilleur prix et dans les meilleurs délais, alors que d'autres acteurs travaillent plus pour les éditeurs et même, horreur, pour les auteurs. C'est un groupe puissant armé d'un discours fort. Aux USA par exemple, cette stratégie leur a permis de gagner un gros procès contre Apple et son système de distribution de livres (électroniques) censé favoriser justement les éditeurs qui fixaient leurs prix, alors que dans le système Amazon, c'est le distributeur qui fixe le prix de vente. En France, à cause ou grâce à la loi Lang, le prix est fixe, mais l'astuce consiste à offrir les frais de livraison. Du point de vue du lecteur, c'est comme si le livre coûtait à peu près 3 euros de moins in fine.

La loi qui va être discutée par le Parlement se saisit donc de ce problème et, miracle, il y a consensus politique autour d'elle, de l'UMP qui la dépose au PS qui la soutient et au Gouvernement qui l'encourage. Il s'agit d'interdire la gratuité des frais de port ! Amazon crie au scandale et, en bons jésuites maîtrisant la dialectique et la casuistique, ils retournent les arguments de diversité culturelle et de dictature contre les autorités politiques. J'aimerais recevoir une offre d'emploi d'Amazon pour la refuser, au fait !

Evidemment, personne n'est blanc comme neige ici. Les éditeurs français ont profité de la manne Lang pour ne pas bouger du tout sur le numérique. Ils sont devenus aujourd'hui les champions mondiaux de l'immobilisme et se voient dépassés tous les jours par de nouveaux acteurs venus d'autres horizons, à l'étranger mais surtout issus d'autres secteurs comme l'informatique et les télécoms. Les libraires, eux, ont du mal à trouver leurs marques dans cette course. Ils exercent un métier de passionnés qui est principalement un métier de prescription et de conseil, rôle que ne jouent pas (encore ?) les plateformes en ligne, malgré tous leurs essais. Il y a donc là un marché à prendre.

En recréant une nouvelle ligne Maginot autour du Livre, le Parlement est-il conscient qu'il en affaiblit les acteurs et qu'il permet des contournements : qu'est-ce qui empêchera un lecteur français de commander sur Amazon Luxembourg ou Belgique ? Est-ce que cette augmentation des tarifs du livre va augmenter le nombre de lecteurs ? Est-ce que les livres numériques ne vont pas devenir plus faciles finalement ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire