dimanche 12 janvier 2014

Du temps de cerveau pour … une nouvelle disette

Albert se réveilla au moment où l’hôtesse lui demandait d’accrocher sa ceinture pour l'atterrissage. Il dormait facilement en avion, surtout quand les vols étaient longs. Et traverser toute la planète pour venir ici, au Zimbaland, représentait l’un de ses plus longs vols. Mais le Zimbaland était un pays fascinant pour les vrais voyageurs, car il venait juste de s’ouvrir au tourisme. Et Albert avait réussi à faire partie du premier groupe de touristes acceptés. Une semaine, une petite semaine. C’est tout ce qui avait pu être négocié avec les autorités. Mais c’était mieux que rien ! Et Albert s’était promis d’en profiter un maximum. Il voulait écrire un livre.

Le groupe de touristes qui occupait les sièges à côté (au fond, près des toilettes) était composé d’autres baroudeurs visiblement, de deux journalistes déguisés en touristes mais qui ne trompaient pas l’oeil averti d’Albert, et de deux jolies femmes qu’Albert entendait bien connaître mieux avant la fin de la semaine. Pas d’accompagnateur. Normalement ils devraient être accueillis à l’aéroport international du pays voisin par leur guide officiel, puis emmenés en car à Zambi (?), la capitale du Zimbaland. Un groupe de douze explorateurs. Albert ne pouvait s’empêcher de trouver ce nombre magique et plein de promesses même s’ils seraient alors treize à table avec leur guide.

Le temps était beau et Albert se retrouva en un rien de temps avec ses bagages, ses cotouristes et son chapeau de paille à la sortie de l’aéroport. Ils regardèrent toutes les pancartes qui accueillaient les visiteurs. Rien pour eux. Ils attendirent donc, comme on leur avait expliqué : en tant que nouvelle destination touristique, tout n’était pas encore rôdé et il fallait être compréhensif. Albert avait de la bouteille et un peu de ventre. Il était habitué ! Autour de lui, personne non plus n’avait l’air nerveux, même pas les deux jolies femmes, qui s’appelaient Julie et Lalie. Le calme d’Albert déteignait sur les autres. Il y était habitué aussi. Cela lui avait ouvert de multiples portes, particulièrement avec les dames d’ailleurs.

Au bout d’une heure, le calme d’Albert commença à se fissurer légèrement. Il réussit à ne rien montrer et continua à faire rire ses collègues (d’infortune, pensa-t-il). Il était tôt encore, à peine dix heures du matin et on leur avait dit qu’il y en aurait pour trois heures de route. Au pire ils rateraient le repas de midi…

Au bout de deux heures, tout le monde était nerveux. Albert n’arrivait plus à contenir ce qu’il appelait ses troupes. Ses quelques essais en anglais pour obtenir des renseignements s’étaient soldés par des échecs : de l’incompréhension, quelques sourires énigmatiques et un policier qui était reparti après l’avoir copieusement injurié, semble-t-il, il y avait dix minutes. Albert gardait un peu d’espoir sur ce dernier, mais les autres semblaient un peu désespérés. Les deux journalistes interviewaient tout le monde et filmaient tout ce qui bougeait. Les deux jeunes et jolies jeunes femmes s’étaient un peu éloignées de lui pour se rapprocher d’un autre touriste, visiblement un ancien militaire. Albert jura au fond de lui et décida de faire quelque chose pour rattraper le coup. Mais quoi ? Albert n’avait pas d’idée. Il décida d’aller voir les chauffeurs de taxi. Eux au moins sauraient peut-être quelque chose.

Soudain, tout alla avec une extrême rapidité. Ce n’est qu’après qu’Albert put remettre les choses dans l’ordre.

Albert fit un signe au premier chauffeur de taxi dans la file au moment même où se fit entendre un crissement de pneus. Le chauffeur tira avec un pistolet sorti on ne sait comment de sa poche. Le policier qui traînait encore dans le coin tira aussi. Les deux ne devaient pas être des tireurs d’élite car deux autres coups de feu claquèrent et le chauffeur et le policier s’effondrèrent, certainement morts avant de toucher terre. Les nouveaux coups de feu venaient d’une camionnette comme on n’en avait plus vu depuis les hippies. Deux autres tirs abattirent presque au même moment une vendeuse de fleurs et un cireur de chaussures, puis la camionnette vint piler devant eux et sa porte arrière s'ouvrit. Tout le groupe se retrouva dans la camionnette en moins de deux. Tous sauf Albert qui se retrouva allongé par terre et ligoté. La camionnette démarra comme dans un film et Albert fut entouré de policiers et emmené au poste. Moins de cinq minutes après, Albert était dans une cellule. Seul mais pas trop abîmé.

Il fallut une semaine à Albert pour se dépatouiller de cette affaire. Il avait été interrogé par une quantité incroyable d’officiels, mais personne ne croyait à son histoire. Albert n’avait même pas pu appeler son ambassade. Le samedi suivant, Albert fut libéré de sa cellule et ramené à l’aéroport. On le laissa seul au même endroit, devant la grande porte. Il pouvait identifier un certain nombre de policiers déguisés en n’importe quoi, et savait qu’il était un appât. Albert en avait beaucoup vu dans sa vie, mais là c’était le pompon. Il croyait à sa bonne étoile mais était prêt à se jeter à plat ventre au premier coup de feu.

Il n’y eut pas de coup de feu. Albert vit arriver de loin un cortège de somptueuses voitures de luxe, décapotées. Le groupe de ses cotouristes était au complet, trois par voiture. Tous descendirent en remerciant leurs chauffeurs. Les deux jeunes femmes, encore plus jeunes et jolies étaient littéralement accrochées aux bras du bellâtre militaire. Elles ne le reconnurent pas. Les voitures attendirent qu’ils rentrent tous dans l’aéroport et Albert s’empressa de les suivre, puis il y eut, semble-t-il, quelques grenades de gaz paralysant lancées et les voitures repartirent tranquillement. Tout le monde semblait enchanté dans le groupe et Albert ne put se faire reconnaître. Il faut dire qu’il ne présentait pas très bien. On lui refusa l’accès à l’avion parce qu’il n’avait pas de billet ni de papiers et qu’il sentait mauvais.

Depuis, Albert vit à l’aéroport, où il aide les touristes pour le Zimbaland à retrouver leurs bagages. Il s’est habitué aux coups de feu et aux gaz. Albert est fier. Il n’a jamais vu d’autre touriste traité comme lui. Tous sont enchantés et tout a toujours l’air de bien s’être passé pour eux. Il espère toujours aller au Zimbaland une fois. Chaque fois qu’un touriste lui pose une question par contre, il bredouille des réponses incompréhensibles, comme les autres personnes autour de lui, même quand il leur parle.

De temps en temps il se demande quand même ce qu’il y a de si bien au Zimbaland pour que tous les touristes en reviennent enchantés...

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