dimanche 2 février 2014

Du temps de cerveau pour … une nouvelle dite neuve

Il était une fois un chat botté.

Tous les contes de fées commencent par « il était une fois » mais celui-ci est particulier. Ce conte aurait pu commencer par « il était deux fois » ou même par « il était presque tout le temps ».

Ce chat s’appelait Armand, parce que sa maîtresse adorait les contes de fées et donc les princes cha-armants. Mais malheureusement, Mademoiselle Simone habitait à notre époque dans un F2 en banlieue parisienne, dans un château une barre, heureusement quand même située Allée des marguerites. Mademoiselle Simone travaillait dans un bureau gris et sans odeur, mais dès qu’elle rentrait chez elle, elle s’habillait en princesse, ajustait les bottes d’Armand, mettait de la musique douce et se plongeait dans ses livres reliés et ses DVD venus de tous les coins du monde. Tous des contes de fées.

Personne ne connaissait son petit secret et tout le monde la considérait comme une fille grise et sans saveur. Gentille au demeurant, mais sans intérêt.

Mademoiselle Simone avait un autre péché mignon : elle adorait les pizzas, même si elle reconnaissait au fond d’elle-même que ça n’était pas une nourriture très orthodoxe dans les contes de fées. Elle se faisait donc livrer ses pizzas régulièrement mais elle s’arrangeait toujours pour que le livreur dépose la pizza payée en ligne sur le paillasson. Mademoiselle Simone n’osait pas se montrer habillée en princesse. Elle avait un peu honte et peur qu’on la traite en plus de folle.

Armand était un chat tranquille. Il ne connaissait que sa maîtresse et ne sortait jamais. Il était quasiment né avec des bottes et n’imaginait pas vivre sans elles. Chaque fois que Mademoiselle Simone les lui enlevait pour lui couper les griffes, Armand se sentait tout nu et incomplet. Il gardait ses bottes pour sa toilette, qui l’occupait au moins la moitié du temps où il ne dormait pas. Lorsque ses bottes s’usaient un peu trop, sa maîtresse lui changeait. Armand venait de temps en temps à elle en poussant une nouvelle paire, souvent de la couleur assortie à la robe du jour, lorsqu’il avait envie de changer. Son placard était rempli de bottes de toutes les couleurs. Armand était un chat heureux.

J’ai oublié de dire qu’Armand aussi adorait la pizza, surtout celle aux anchois. Mademoiselle Simone avait du mal à le retenir quand le livreur arrivait avec la pizza Reine aux anchois. Armand grattait à la porte, ce qui faisait un drôle de petit bruit doux à cause de ses bottes.

Le livreur avait remarqué ce petit bruit mais n’avait pas réussi à l’identifier. Il avait aussi remarqué que ce bruit ne se produisait que lorsqu’il apportait une pizza Reine. C’était toujours le même livreur. Il aimait bien venir là, car à chaque fois il y avait une pièce de deux euros sous le paillasson pour lui, plus un petit mot de remerciement. Au début il avait gardé ces mots dans sa veste, puis il les avait soigneusement rangés dans une boite. Il n’y avait pas toujours les mêmes mots écrits, mais l’écriture était très belle, il n’y avait jamais de faute et il aimait particulièrement la signature qui disait simplement « Mademoiselle Simone ».

Livrer des pizzas, c’est un petit boulot. Notre livreur le faisait le soir et les week-end seulement. Il aimait bien, car ça lui permettait de rester dans son quartier et de s'y promener à pied. Tout le monde le connaissait et le saluait. Mademoiselle Simone était la seule cliente qu’il n’avait jamais vue. Peut-être l’avait-il vue d’ailleurs sans le savoir. Quand il demandait autour de lui, personne ne se souvenait d’elle, sauf peut-être à travers des description vagues, grises et sans voix.

Armand ne se préoccupait évidemment pas du livreur. Seuls importaient les anchois sur la pizza. Mademoiselle Simone ne s’occupait pas du livreur non plus. D’ailleurs elle ne savait même pas si c’était le même livreur à chaque fois. Elle laissait les petits mots de remerciement et les pourboires sans même y penser.

Tout changea un mardi soir. Mademoiselle Simone était fatiguée. Son boulot gris l’avait épuisée et une réorganisation aléatoire la menaçait. Mademoiselle Simone avait un peu la tête ailleurs quand elle arriva chez elle. Elle s’habilla en gris ce soir là. Un beau gris perle plein de reflets comme une rivière qui coule sous un ciel plombé. Armand n’aimait pas cette robe et il décida d’aller chercher ses bottes rouges. Mademoiselle Simone le regarda d’un air étrange mais lui échangea ses bottes. Armand grandissait encore et il faudrait bientôt qu’elle en couse d’autres. Mademoiselle Simone commanda une pizza Régina ce soir là. Vous savez certainement que la Régina est une Reine sans anchois. Il faut excuser Mademoiselle Simone. Ce n’était pas son jour. Elle écrivit son petit mot et prit deux euros dans son petit sac de princesse. Elle ouvrit la porte et glissa le tout comme d’habitude sous le paillasson, puis referma doucement la porte et alla se faire belle. Enfin, encore plus belle que d’habitude. Elle allait se consoler ce soir en étant la plus belle de toutes les princesses. Armand la regarda un peu de travers, tout en surveillant du coin de l’oreille l’arrivée du livreur de pizza.

Le livreur arriva alors que Mademoiselle Simone ajustait ses boucles d’oreille. Armand était déjà derrière la porte. Il sentait les anchois (si près, si près !) et se mit à gratter comme d’habitude. On entendait le livreur se déplacer, mais avec un son différent. Comme le froissement de feuilles dans un arbre au printemps. On n’était pourtant qu’en février, se dit Armand. Puis on entendit distinctement le livreur se baisser, soulever le paillasson, prendre ce qui était dessous. Il y eut un bruit de stylo sur du papier, puis de papier sur le paillasson, juste avant le « stomp » familier de la pizza posée. Un deuxième stomp, plus petit, ensuite. Etrange, se dit Armand. Il se passe des choses bizarres ce soir, tout en grattant comme d’habitude la porte. Comme d’habitude ? Non. Plus fort que d’habitude en fait. L’odeur des anchois était très forte ce soir et Armand devenait fou.

Il miaula pour attirer Mademoiselle Simone afin qu’elle ouvre cette porte plus vite, mais à ce moment précis, la porte s’ouvrit. Mal refermée par sa maîtresse, la porte avait cédé sous sa botte. Armand se précipita sur le paillasson et découvrit la pizza. L’odeur d’anchois ne venait pas d’elle, mais d’une petite boite à côté. Des extras ? Armand était ravi. Il allait s’attaquer à la boite lorsque des mains le prirent et le soulevèrent. Armand regarda droit dans les yeux de celui qui avait osé le toucher. Le nouveau venu était habillé tout en rouge avec des dorures, comme dans les livres de sa maîtresse. Ses mains sentaient un peu l’anchois aussi. Armand ne put pas résister et commença à lui lécher les doigts. Le livreur lui sourit et c’est à ce moment que Mademoiselle Simone, ayant vu la porte ouverte, appuya sur la minuterie.

Il y eut une étincelle, mais pas de lumière. Tout resta dans une pénombre grise, sauf le costume de prince qu’avait mis le livreur pour ce Mardi Gras, la robe perlée de Mademoiselle Simone et les bottes rouges d’Armand. Tout était sombre, sauf l’éclair qui passa dans les yeux du livreur et de Mademoiselle Simone. Sur le paillasson, le petit mot s’envola. Il y avait deux « Merci » écrits dessus, de deux écritures différentes.

Les premiers mots du livreur ne furent pas, comme il l’avait préparé, « je vous ai mis des anchois en plus car je crois que vous les avez oubliés », mais « Comme vous êtes belle ! ». Mademoiselle Simone ne dit rien, elle. Elle l’attira juste chez elle, de l’autre côté du paillasson, pendant qu’Armand se goinfrait d’anchois.

Tant pis, il changerait de bottes ensuite !




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