dimanche 30 mars 2014

Du temps de cerveau pour… une nouvelle Vingt Tsé-tsé

Il sera une fois une planète Terre touchée par le réchauffement climatique, et plus particulièrement en Alsace.

Les alsaciens étaient plutôt habitués à des températures froides et à beaucoup d’humidité. Depuis le réchauffement, les alsaciens ont très chaud et l’humidité est encore plus présente. C’est plutôt bon pour le vin, se dit Hans. On le vend de mieux en mieux, surtout depuis que le Bordelais et la Champagne ont été touchés par la sécheresse. La famille de Hans est en effet devenue très riche depuis ce temps là et en quelques générations leur fortune s’est embellie avec régularité.

Hans, le chaudalsacien comme on dit maintenant, est donc un homme heureux. Il ne lui manque qu’une seule chose : voir disparaître les cigognes qui ont envahi toute la région et qui sont fixées à l’année sur toutes les cheminées et tous les clochers imaginables, des plus gros aux plus petits.
Au début, il parait que ce phénomène a attiré beaucoup de touristes et de médias, mais maintenant tout le monde s’est habitué à des tas d’effets pervers du réchauffement et plus personne ne s’étonne des cigognes sédentaires en Chaudalsace ou des crocodiles dans la Seine.

Hans n’aime pas les cigognes. Elles salissent tout, et surtout sa maison qui a trois cheminées, donc trois familles de cigognes. Elles ont aussi drastiquement fait augmenter le taux de natalité dans la région, en raccourcissant les délais de livraison des bébés, ce qui encombre les écoles et les crèches et fait donc augmenter les impôts. Hans est richissime mais n’aime pas payer des impôts, et il est convaincu que les cigognes sont la cause de tous ses maux.

Hans est un peu simple d’esprit, il faut le dire. C’est pourquoi il n’a jamais rencontré l’âme soeur. En fait il a failli la rencontrer mais il a été trop bête pour s’en rendre compte. Et maintenant il regarde la fille du serrurier de haut, du haut de ses trois cheminées, elle qui n’en a qu’une. Elle lui jette des regards enamourés, mais comme elle milite pour l’association locale de protection des cigognes, il refuse de la voir. Pour lui, elle n’existe pas.

Hier, il est allé voir le serrurier et lui a demandé de venir poser des grilles et des piques sur ses cheminées pour faire fuir les cigognes. Le serrurier l’a regardé bizarrement et sa fille qui était au comptoir a rougi, mais Hans a annoncé un si bon prix pour ce travail que le pauvre serrurier n’a pu refuser. Et donc, aujourd’hui Hans attend le serrurier pour les travaux.

Vous pourriez dire que Hans est très égoïste et qu’il ne s’occupe que de sa maison, mais c’est sans compter sur l’énergie destructrice dont il fait preuve à chaque fois qu’il y a des cigognes. Hans a eu une autre idée et il a sauté de joie ce même matin quand il a reçu un gros colis dans son courrier. Il s’agissait d’une commande spéciale qu’il avait passée en Afrique : un bocal entier plein de mouches tsétsé, celles qui donnent la maladie du sommeil en piquant les animaux. Hans se propose de lâcher les mouches à midi, à l’heure où les cigognes se rassemblent sur la place du village, pour boire à la fontaine et discuter entre elles. Il espère ainsi que la plupart d’entre elles seront touchées ! Il n’a fait part à personne de cette idée, évidemment, car beaucoup de gens aiment les cigognes.

Lorsque le serrurier arrive, à 10 heures, il est accompagné de sa fille qui l’aide à porter son matériel et qui l’aide ensuite à s’installer sur le toit. Hans les regarde avec plaisir, qu’il est doux de ne rien faire… installé sur son transat dans son jardin, avec son parasol et sa bière fraîche. Une bière légère et sucrée, il est tôt encore !

A côté de lui, les mouches bourdonnent dans le bocal. On les entend nettement à travers le bouchon perforé. Hans s’endort, bercé par ce doux bruit. La fille du serrurier descend du toit et se prépare à rentrer, mais elle décide d’admirer quelques secondes Hans : qu’il est beau ! Elle en est folle amoureuse depuis toute petite. Il est si séduisant. Elle soupire et va s’en aller quand elle remarque le bourdonnement. Elle s’approche. Elle ne comprend pas pourquoi Hans a à côté de lui un bocal plein de mouches qui bourdonnent de plus en plus fort avec la montée de la chaleur. Elle trouve cela choquant et décide, impulsivement, de libérer les mouches, comme une sorte de vengeance pour défendre ses cigognes adorées. Tant pis pour Hans, ça lui fera une bonne leçon.

Le mouches s’échappent en un gros essaim et tourbillonnent autour de la table. Elle recule et s’éloigne. Les mouches se précipitent sur la bière et la terminent en un clin d’oeil, puis elles se posent toutes sur Hans qui sursaute à peine. En quelques instants Hans est piqué par des centaines de mouches. La fille du serrurier se dit qu’elle a peut-être fait une bêtise et elle sort sa baguette magique en fer, forgée par elle-même. En quelques moulinets, elle a fait disparaître toutes les mouches dans un univers parallèle.

Elle regarde Hans. Il dort profondément. Elle appelle son père d’un ton tel qu’il descend tout de suite à ses côtés. Son père lit l’étiquette sur le bocal et comprend que maintenant Hans est parti pour dormir longtemps. Ils décident alors tous les deux de repartir chez eux, en effaçant toutes traces de leur passage. La fille du serrurier est désolée du mauvais tout qu’elle a joué à Hans, mais elle ne peut plus rien y faire. Sa magie ne sait traiter que les animaux.

Une semaine se passe, puis un mois. Tous les jours la fille du serrurier vient voir Hans et s’en occupe. Il dort toujours mais semble aller bien. Les cigognes du voisinage en ont profité pour venir s’installer sur sa grande maison, toujours plus nombreuses. Au bout d’un certain temps la fille du serrurier a construit des structures métalliques pour les accueillir et en quelques mois, le jardin et la maison de Hans sont devenus le plus grand parc de cigognes de toute la Chaudalsace. Hans dort toujours.

La fille du serrurier attend son réveil. Chaque jour elle veille sur lui, sur sa maison, son jardin et ses cigognes. Chaque jour elle l’embrasse sur la bouche, mais il ne bouge pas. Ses baisers ont de plus en plus longs.

Elle a le temps. Il se réveillera bien un jour !



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