lundi 21 juillet 2014

Je vous parle d'un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître

La bohème ? Non, vous n'y êtes pas. Aznavour parlait en 1966 de la butte Montmartre et de sa jeunesse perdue.

Moi je vous parle de 1969, il y a exactement 45 ans la nuit dernière, vers trois heures du matin en France. L'homme a marché sur la Lune pour la première fois dans la réalité, après que les romanciers, les écrivains de science-fiction, les cinéastes ou les auteurs de BD l'aient imaginé. Pour beaucoup aujourd'hui, c'est juste un fait divers historique, ou même le sujet d'un épisode de Mad Men.

Comme on dit au Québec, je me souviens. C'était le plein été et j'étais en Corse dans un hôtel-club de vacances qui a dû disparaitre depuis ou être dynamité ou être racheté par une autre famille corse. Il faisait chaud, très chaud et la nuit était le meilleur moment pour profiter de la vie. On pouvait faire tant de choses. Il y avait la piscine du soir, le dîner dehors, la chasse au dahu dans le maquis d'à côté, la boite de nuit avec sa piste de danse à moitié à l'intérieur et en terrasse, et des tables entières pour s'asseoir et discuter. Il était facile de draguer à toute heure de la nuit. Pourquoi se coucher ? Surtout une nuit comme celle-ci. La lune était belle et ronde, haute dans le ciel. A cette époque, il n'y avait pas d'écran géant et je me souviens de cette petite télé que tout le monde regardait au-dessus du bar. Les gens allaient et venaient car cela a duré longtemps, avec des images floues, grises, hachurées, mais nettes quand même malgré tout. Tout le monde s'est mis à aimer l'espace, la lune, les étoiles et l'astronomie. Je me souviens de ce moment où je crois que j'ai choisi de devenir un scientifique.

La magie d'un moment tient à peu de chose. Cette magie peut subsister pendant 45 ans sans problème. C'est la magie du recul. "Et le désir s'accroit quand l'effet se recule" disait-on dans Polyeucte (Acte I, scène 1). Il m'a suffi de reculer de quelques pas pour avoir à la fois dans mon champ de vision cet écran de télé avec cette image floue et si nette d'un scaphandre blanc sur une surface grise, et la lune elle-même, pleine de sa grandeur et de sa distance, pour comprendre la beauté du monde et la puissance de la science et de la technologie. Le contraste entre les deux images était trop fort pour ne pas interpeller un jeune garçon, un parmi tant d'autres.

La science et les technologies déraillent souvent, car les hommes de pouvoir en font ce qu'ils veulent. En tant que telle, la science n'est pas belle. Les usages de la science peuvent être beaux ou non et la limite entre les deux est délicate. En grandissant (l'homme), en grandissant et en rapetissant à la fois (le monde), en partageant (le monde et l'homme), la science nous accompagne, visible ou invisible.

Le recul nécessaire devant quelques moments importants est une précieuse recette pour que l'homme garde raison. Alors qu'aujourd'hui le moindre non-événement attire des commentaires sur tout et son contraire, et que paradoxalement l'événement important est noyé sous des commentaires qui le cachent au monde, il me semble utile de se rappeler la magie du moment et l'importance du recul. Je ne me souviens d'aucun commentaire au moment de l'événement d'il y a 45 ans. Eux se sont envolés. Mais la magie de l'événement est restée, elle. Et c'est cela qui compte. Qu'on le réalise sur le moment ou plus tard, même beaucoup plus tard, n'a que peu d'importance en fait.


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