vendredi 11 juillet 2014

La critique est facile mais l'Art est difficile (comme la peinture à l'huile)

Quelques commentaires sur ces articles lus ce matin. Il s'agit d'une blogueuse gastronomique qui vient d'être condamnée pour avoir publié une critique négative d'un restaurant il y a presque un an. Vous lirez les détails dans les deux articles cités, mais parlons du fond.

Au plan juridique, il est légal de critiquer à partir du moment où la critique est argumentée, mesurée et sans intention de nuire (juste pour le plaisir de nuire). Le droit sur ces sujets existe depuis longtemps et s'est appliqué à de multiples occasions mais en général contre des professionnels, des guides touristiques ou des concurrents. L'émergence maintenant bien établie des réseaux sociaux et donc des blogs introduit de nouveaux acteurs dans le paysage : des auteurs non professionnels, ne vivant pas de leurs blogs ou presque pas, et dont les articles sont repris, indexés et cités par d'autre sites qui échappent complètement à leur contrôle. Cette blogueuse s'est par exemple vue reprocher d'être très bien positionnée sur Google. Tous ceux qui essayent d'être bien placés sur Google savent bien que ce n'est pas facile et qu'il faut le vouloir pour l'avoir, souvent même payer des boites spécialisées ou passer du temps à peaufiner ses pages, mais que de temps en temps certaines pages apparaissent très haut dans les classements pour des raisons obscures. Ca arrive ici sur ce blog, sans vraiment savoir pourquoi : c'est un mélange entre le contenu, le nom de la page, la fréquentation et les liens qui pointent vers elle, mais Google change ses algorithmes souvent et les sites dédiés au référencement en parlent tout le temps. Vu la manière dont Google évite les problèmes avec son armée de juristes, ce n'est pas une mince affaire. Le dispositif mis en place en Europe par exemple pour désindexer les pages est encore balbutiant et peut vite devenir contre-productif.

Mise à jour : A noter cet article où un juriste dit qu'il aurait été mieux que la blogueuse se soit fait accompagner d'un professionnel pour ce jugement en référé... Cercle vicieux vous avez dit ?

Au plan communication, l'effet Streisand est très puissant sur l'Internet social, dans lequel se rangent les blogs de critiques, culinaires par exemple. En voulant supprimer les contenus qui leurs sont défavorables, un certain nombre de sites se sont vus au contraire encore plus critiqués, dans un phénomène maintenant devenu classique et qui porte un nom. Que ce soient avec des parodies, des duplications de sites supprimés, des pétitions ou simplement des liens, quand un phénomène de ce type se développe, il peut partir en vrille très vite. Et personne ne peut dire à l'avance s'il va être positif ou négatif, car c'est comme un phénomène chaotique, avec des équilibres instables où tout peut basculer d'un côté ou d'un autre très vite, comme le moulin à eau chaotique de Lorenz, dont on ne peut prévoir à l'avance dans quel sens il va tourner à un moment donné. Belle image d'un chaos médiatique...




Au plan des libertés, cette décision est intéressante pour tout blogueur, tout lecteur de blog ou tout commentateur de blog. Les médias et les professionnels sont protégés par plein de droits qui encadrent les libertés. Ils ont les moyens de se payer des avocats et des frais juridiques. Le blogueur individuel a les mêmes droits sans les mêmes possibilités d'action, souvent (mais pas tout le temps car il y a des blogueurs professionnels ou des blogueurs qui écrivent à titre personnel mais sont accompagnés par leur employeur ou leur journal). Or avoir un droit sans avoir la possibilité de l'exercer est peu différent de ne pas avoir ce droit. Nombreux sont ceux qui rêvent d'un monde aseptisé où tout le monde est gentil (Allo Jean Yanne ?) et où tout est contrôlé entre gens de bonne compagnie, à leur profit. Quand il y a des conflits ils se règlent dans la discrétion. Une des choses qu'a changé l'Internet dans le monde (pour le moment) c'est bien d'avoir perturbé ce bel équilibre, qui s'est révélé aussi instable que le moulin à eau ci-dessus. Garder un équilibre (dans la critique aussi) est difficile et souvent impossible, dans les nombreux systèmes chaotiques qui nous entourent. Permettez-moi de penser que la décision de justice dont on parle n'est pas équilibrée, même si les conditions particulières de cette décision sont justement particulières. Sur le principe, de toutes façons, tous les utilisateurs de l'Internet savent lire avec précaution les "critiques", qui peuvent être exagérées dans un sens ou un autre, ou manipulées par un camp ou l'autre. Et on voit bien pire chaque jour sur Twitter. Il est vrai que Twitter semble protégé par le côté instantané, sans mémoire, des messages publiés. Mais c'est une illusion car de vieux tweets sont régulièrement sortis et publiés, y compris hors de leur contexte du moment.

Puisque la critique 2.0 est née, l'Art 2.0 doit être inventé aussi. A vos cuisines et ateliers !

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