dimanche 5 octobre 2014

Du temps de cerveau pour… une nouvelle dézinguante de rois

Le roi des Rizons était malade. Pas une petite maladie de rien, mais un gros machin qu’on n’était pas capable de soigner dans son tout petit pays. Le roi avait demandé à tous les médecins du royaume mais aucun n’avait trouvé de quoi il souffrait. Le plus vieux d’entre eux avait connu dans sa jeunesse un médecin dans le grand pays voisin et il s’était proposé pour aller le chercher. Mais il y avait un problème.

La Rizonie était en effet un pays enclavé et sans richesse. Les paysans suffisaient juste à nourrir la faible population du royaume et la plupart des jeunes voulaient fuir le pays dès qu’ils le pouvaient. Comme tous les habitants étaient pauvres et sans éducation, et qu’ils faisaient tache dès qu’ils arrivaient quelque part, les pays voisins avaient fermé les frontières et depuis vingt ans, personne n’était entré dans la royaume. Et personne n’en était sorti non plus. C’était une mesure extravagante et d’une intolérance rare, mais le roi des Rizons n’y pouvait rien. Il n’avait pas d’armée et les frontières étaient bien gardées de l’autre côté. En fait pour ne pas être accusés de racisme, les pays voisins avaient simplement instauré une taxe pour entrer chez eux et personne, pas même le roi, n’avait assez d’argent pour sortir ne serait-ce qu’une seule fois.

Le médecin qui s’était porté volontaire pour sauver son roi était décidé à tout, mais il manquait cruellement d’idées pour passer la frontière. Il décida d’aller rencontrer le CDJQVSEMQNPP (le Club Des Jeunes Qui Veulent S’Expatrier Mais Qui Ne Peuvent Pas), plus connu sous le nom de Club Aurevoir. Le roi avait interdit le club mais comme il n’avait pas de forces de police, le club se réunissait quand il voulait. Et justement il y avait une réunion ce soir-là.

Lorsque le vieux docteur arriva dans la réunion, tout le monde se tut. Il était beaucoup plus vieux que les plus vieux des membres du club, même si certains étaient membres depuis vingt ans, et il portait sa robe de médecin, avec un ourlet rouge. Il n’y avait pas de police mais tout le monde se méfiait des envoyés du roi, quels qu’il soit. On ne savait jamais.

Le médecin prit la parole et eut beaucoup de mal à convaincre les présents, mais à la fin ils décidèrent de l’aider. Evidemment il y avait une condition et c’était, comme vous le pensez bien, que le roi les laisse sortir en même temps que le médecin ! Si leur plan marchait pour le vieux docteur, il marcherait bien pour eux, non ? Les membres du club étaient un peu bêtes car ils auraient pu décider d’utiliser le plan pour eux seuls, mais ils n’y pensèrent pas. Il faut dire que des années de beuverie en groupe avaient un peu atteint leur cerveau : l’alcool du pays était distillé à la va-vite et il attaquait sévèrement les nerfs.

Le plan du médecin était astucieux, mais il demandait beaucoup de mains pour y arriver : il fallait creuser un tunnel sous la montagne bleue. Le tunnel ne serait pas trop long à creuser si tous les membres du club s’y mettaient et c’était le meilleur emplacement. La montagne bleue était infranchissable et donc personne ne surveillerait la frontière de l’autre côté. Le médecin estimait que le tunnel pourrait être terminé en un mois et que le roi pouvait tenir jusque là, à coups de tisanes et de massages.

Les travaux commencèrent dès le lendemain et le médecin faisait la navette entre la montagne et la palais pour tenir le roi au courant de l’état d’avancement et le soigner entre deux coups de pioche. Au début tout se passa bien, comme toujours dans les travaux de terrassement. Mais au bout de deux semaines, alors que l’on estimait le tunnel à la moitié de la longueur finale, ils tombèrent sur une grande caverne.

Deux jeunes tombèrent d’ailleurs littéralement dans la caverne qui semblait profonde dans toutes les directions. Le docteur fut appelé en urgence car on entendait leurs cris plus bas, mais quand il arriva, on n’entendait plus rien. Ils installèrent des lampes mais celles-ci n’arrivaient pas à percer l’obscurité. Ils réussirent quand même à installer une échelle de corde pour descendre au fond et deux jeunes, plus courageux que les autres, décidèrent de descendre dans la caverne, qui pouvait abriter n’importe quoi. Le docteur et les autres regardèrent les deux aventuriers descendre et quand ils arrivèrent en bas, on pouvait encore les distinguer. Il devait y avoir une vingtaine de mètres. Très vite ils réalisèrent que les deux qui étaient tombés étaient morts et un silence glacial s’abattit sur la petite troupe de mineurs. Cette joyeuse aventure commençait à tourner mal.

Et puis le docteur décida de descendre lui aussi voir ce qu’il y avait dans la caverne. Après tout, il était le seul homme éduqué dans ce groupe et il devait prendre ses responsabilités. La situation devait être évaluée. Il descendit avec précaution et une torche puis se trouva sur le sol de la caverne. La caverne était immense. Elle semblait vaguement ronde. et toutes ses parois verticales. Il n’y avait pas d’issue sauf le tunnel qu’ils venaient de creuser. A centre de la caverne par contre, il y’avait un trésor. Un tas énorme de pièces d’or et de bijoux. Une richesse extraordinaire. Les deux jeunes qui étaient descendus avant le docteur étaient là, fascinés et immobiles, comme hypnotisés par le tas d’or. Le docteur n’hésita pas. Il les tua tous les deux avec sa canne-épée. C’était une trop belle découverte pour la partager. Puis il déchira un peu sa robe, s’entailla la main et se barbouilla la figure de sang. Il se mit à crier très fort et courut vers l’échelle qu’il gravit comme un jeune homme. En le voyant et en l’entendant crier « La bête, la bête ! » ils se mirent tous à courir et s’enfuir comme des moineaux apeurés. Le docteur se retrouva bientôt seul dans le tunnel. Tout se passait bien.

Il va sans dire que le docteur ne put faire revenir personne dans le tunnel. Il avait essayé - mollement on peut le dire - histoire de solidifier son histoire mais aucun membre du club ne voulut y retourner. Il s’y attendait et ne fut pas déçu. La nuit même, il entreprit plusieurs voyages pour rapporter des paniers d’or au palais. Il ne dit rien au roi, qui de toutes façons était tombé dans une sorte de coma délirant. EN quelques semaines, toujours la nuit, il eut vidé tout le trésor et son appartement comportait maintenant une pièce entièrement remplie d’or. Il y avait là de quoi faire sortir toute la population du pays un grand nombre de fois, mais le docteur avait d’autres plans. Le roi était à l’agonie et il lui annonça un jour que le tunnel était terminé et qu’il partait chercher le médecin promis. Le roi sembla comprendre ce qu’il disait et réussit à lui sourire. Le docteur partit, les poches pleines de pièces et sans que quiconque le voit se dirigea vers le poste-frontière le plus proche. Il demanda quel était le montant de la taxe et jeta nonchalamment une pièce au douanier qui n’en revint pas. Le médecin avait mis sa plus belle robe.

Il décida de prendre un peu de bon temps dans la capitale de l’autre pays et y passa trois mois. Sa fortune était à peine entamée quand il décida de rentrer. Il s’était fait accompagner d’un sergent à la retraite et d’un chariot plein d’équipement et d’armes. Son voyage de retour lui coûta deux pièces d’or plus une troisième pour le chariot, qu’il paya sans barguigner. En arrivant dans son pays, il vit que la plupart des maisons aient un tissu noir sur la porte. Pendant son absence le roi était mort comme prévu et comme il n’avait pas d’héritier, le royaume était en crise. Il ne fallut que deux jours au médecin pour recruter tous les jeunes du club et les enrôler dans sa petite armée, dirigée d’une main de fer par le sergent. Le club CDJQVSEMQNPP était devenu le Club Des Jeunes Querelleurs Volontaires Soldats Et Militaires Qui Ne Plaisantent Pas, plus connu sous le nom de Club Militaire.

La prise du pouvoir se déroula sans effort et le médecin fut couronné le troisième jour. Il partit le lendemain avec son armée négocier avec ses voisins et à partir de ce jour la circulation vers son pays fut rétablie. Les jeunes du club voulurent tous rester, car la paye était bonne et les marchandises affluaient dans le pays… en payant de fortes taxes au roi évidemment. Et les pays voisins étaient trop contents de traiter avec un royaume aussi riche.

Le médecin était en bonne santé et il avait tout pour vivre longtemps. Il se demandait régulièrement comment ce tas d’or et de bijoux était arrivé dans cette caverne sans issue. Il ne le sut jamais, car lorsque le dragon endormi de la montagne bleue se réveilla et constata que sa cachette était vide, il poussa un grand cri et se précipita - à l’odorat - sur son or. Ce faisant, il écrasa le palais et le nouveau roi, puis goba tout son or. Il en profita pour manger la population et raser le pays - non mais ! - et retourna tranquillement chez lui.

L’armée du roi avait bien essayé d’intervenir, mais ils n’étaient pas entraînés pour combattre un dragon. Ils savaient courir (et plutôt vite). Les seuls survivants furent parmi eux et ils réussirent à s’enfuir pour de bon dans le pays voisin. Ca avait mis le temps, mais ils avaient réussi ! Plus personne ne vivait dans le petit royaume de Rizonie, qui fut bien vite annexé par ses voisins. Bien instruits par les rescapés, les nouveaux maîtres du pays s’empressèrent de reboucher le tunnel. De toutes façons il n’y avait plus de trésor ailleurs que dans la panse du dragon. Le dragon regarda tout ça d’un oeil amusé. Il allait se rendormir quelques dizaines d’années et la population serait juteuse à souhait quand il aurait faim de nouveau… Parfait !


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