vendredi 9 janvier 2015

Amalgames post attentat #JeSuisCharlie

A peine 48 heures et les amalgames et récupérations ont pris le relais du choc initial. Petit tour de certaines réactions.

Pour mémoire, le travail de deuil est long et passe par des étapes. Lire Wikipédia ici par exemple, avec notamment les travaux initiaux de Elisabeth Kübler-Ross. Les étapes classiques sont :
Choc, déni : courte phase initiale avant que la réalité de la perte s'installe.
Colère : colère comme première vrai réaction, avec d'éventuels sentiments de culpabilité et plein de questionnements.
Marchandage : négociations, chantages, pour tourner autour de la réalité en lien avec des autres
Dépression : grande tristesse, remises en question, grande gamme d'émotions
Acceptation : réorganisation après cette acceptation.

Elles ne sont pas toutes obligatoires et il peut y avoir des allers-retours. Mais sauter directement à l'acceptation sans passer par le reste est une erreur qui ralentit le travail de deuil. Dans le cas de Charlie, phénomène public, chacun entre (ou pas d'ailleurs) dans ce processus à sa vitesse,  à son rythme, avec les pressions autour des autres rythmes d'individus proches et d'organisations médiatiques et politiques. Le chaos juxtaposant des réactions diverses est donc normal. En attendant l'oubli médiatique... sauf qu'en l'occurrence les médias continueront longtemps à en parler car cet attentat touche directement tous les journalistes et gens des médias qui les côtoient.

C'est le début des polémiques : sur la grande manif de dimanche où un million de personnes sont attendues. Une manif silencieuse (sans slogans ou affiches partisanes, mais certainement plein de "Je suis Charlie") et républicaine. Le FN doit-il y être ou non ? Débats nombreux un peu partout sur la toile et beaucoup d'injures de la part de ceux qui croient détenir la vérité absolue (non au FN car il n'est pas républicain, car il a porté plainte contre Charlie plusieurs fois, car ses électeurs sont tous des beaufs...) tout en ne se rendant pas compte qu'ils ostracisent au même titre que ceux qui croient avoir plus raison que les autres. Le combat contre le FN est dans les urnes et sur le terrain des militants locaux. J'imagine la posture - honnête ou facile - d'un électeur FN, régulier ou occasionnel, qui se sentirait exclu de ce type de manif. Entre les purs et durs de gauche qui croient que Charlie est dans leur cour privée et un Sarkozy qui appelle à la guerre des civilisations et pose ses conditions pour la pésence de l'UMP à une manif, les politiciens ne savent pas vraiment comment réagir. La plupart ne lisaient pas régulièrement Charlie et ne connaissent pas l'étendue de leurs critiques car tout le monde se focalise sur les religions.

Il y a déjà des appels à un renforcement de l'appareil législatif sécuritaire, sur le modèle du Patriot Act de Bush après le 11 septembre 2001. Appel par les spécialistes de la sécurité qui en veulent toujours plus, puisque pour eux la liberté individuelle et collective s'arrête aux portes de la sécurité. Appel par les politiciens de droite, musclés ou non, qui retrouvent là un thème de campagne (il y a des élections départementales bientôt). Tout ceci est évidemment ce que recherchent les terroristes : un durcissement des démocraties européennes - et de la France en particulier - afin de braquer encore plus les musulmans et de faire glisser le plus possible de monde vers le radicalisme, pour préparer le terrain à un régime autoritaire. Le Patriot Act n'a pas été un succès aux USA, tout le monde le sait maintenant.

A propos des USA, on remarquera que l'administration Obama marque clairement sa différence avec celle de Bush : entre la déclaration à chaud du vice-président John Kerry en français, la mission du ministre de l'intérieur US en France ce week-end et la signature par Obama en personne à l'ambassade de France à Washington du livre d'hommage aux victimes de l'attentat avec un "Vive la France" du plus bel effet.

Il y a aussi les opportunistes et autres charognards, comme à chaque fois et dont l'impact est amplifié par l'Internet : ceux qui revendent à prix d'or le numéro de Charlie Hebdo paru cette semaine (souvent plus de 1000 dollars), ceux qui vendent des T-shirts et des goodies avec le " Je suis Charlie", ceux qui font des campagnes de pub déguisées en détournant à leur profit ce slogan spontané comme les 3 suisses et leur campagne de vautour (que je préfère ne pas citer ici)... Il y en aura de plus en plus, certains de bonne foi et d'autres pour détourner leurs créations : la chanson "Je suis Charlie" buzze, mais il y en aura d'autres, certainement, du genre "We are the world, we are Charlie" :(

Il y a les socialistes paumés qui ne savent pas quoi penser. Déjà la situation était délicate avec les tensions internes aux courants du PS et avec les raclés électorales - passées et futures - mais la juxtaposition Houellebecq + Zemmour + Charlie a mis en péril les croyances des plus fragiles. Les discours se tendent (une des étapes du deuil) et les analyses dérivent. Il y a un élan à donner pour leur redonner des forces, et ce n'est pas évident pour eux.

Il y a le rôle du Président François. Il a été très bon mercredi, entre sa visite immédiate sur les lieux et son discours de 20 heures. Quand on pense que des officiers de sécurité lui ont décommandé d'aller sur place, on se dit qu'heureusement certains bons politiques savent décider malgré leurs conseillers techniques et experts. Ira-t-il à la manif de dimanche ? On l'espère. Bush avait su retourner le 11 septembre en sa faveur, on verra ce qu'Hollande sait faire, cela dit sans aucun cynisme puisque le rôle d'un président est de présider à la nation et de mobiliser les énergies de son pays.

Il y a le cas Houellebecq justement. Il a annoncé hier suspendre sa campagne de promotion, officiellement à cause de la perte de son ami l'oncle Bernard Maris (qu'on adorait écouter débattre avec sa voix (et non se battre avec des Kalach). De toutes façons, sa campagne de promotion était quasiment terminée : Le grand journal diffusera ce soir un interview enregistré hier et les hebdomadaires qui paraissent le jeudi font leurs couvertures sur lui ou autour de lui puisqu'ils n'ont pas eu le temps de modifier leurs Unes (disent-ils) ni même d'insérer un mot sur Charlie. Ces couvertures sont décalées car le hasard est souvent cruel et la couverture de l'Obs restera longtemps comme un fail historique de la presse papier. Même Charlie Hebdo titrait sur lui mercredi et on ne peut pas les soupçonner d'une campagne marketing pour Flammarion ;)

L'amalgame de plus en plus fort entre son roman, un prétendu essai d'anticipation politique et son rôle d'expert de l'Islam étaient trop dur à assumer. De moins en moins de gens sont capables de lire ce livre comme un roman (qu'il est pourtant et plutôt un bon, cf. notre fiche de lecture) et le perçoivent comme un "document" à lire, un peu crash... Les amalgames sont si faciles à inventer !

Bientôt la traque des tueurs sera terminée et l'on passera à la phase policière et justice dont tout le monde raffole (Mise à jour vendredi midi : elle se termine effectivement et un lien serait trouvé avec la mort d'une policière à Monrouge hier). Le Premier Ministre voudra renforcer l'arsenal sécuritaire (est-il sur les traces de Sarkozy ?) mais c'est une autre histoire...

Enfin, il y a la couverture médiatique qui s'est emballée et pas seulement en France. Comme à chaque grand événement mondial, en plus du billet d'hier, je vous propose deux pages "permanentes" :
- quelques dessins de soutien aux dessinateurs et à la liberté d'expression face aux terroristes
Je complèterai ces pages au fur et à mesure, en attenant le prochain numéro de Charlie Hebdo annoncé à un million d'exemplaires, et surtout les numéros suivants. Ces pages peuvent être lourdes à charger, surtout celle sur les Unes, car il y a beaucoup d'images.

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