dimanche 29 mars 2015

Du temps de cerveau pour.. une nouvelle fois sans te saisir

Elle m’a énervé. Je n’aurais pas dû lui répondre. Ca nous a entraînés trop loin. Je suis bien emmerdé maintenant.

Il faut dire qu’elle a exagéré. On est au 26° siècle quand même, on n’est plus des novices. Avec tous ces siècles de civilisation et de technologie derrière nous, nous sommes capables de tout. Alors, oser me dire que la Joconde est la preuve que la peinture d’il y a dix siècles rend mieux les sentiments et est plus artistique que nos photiques actuels, c’est incroyable de bêtise. Dix siècles ! Et puis quoi encore ?

Il faut bien reconnaître que ce tableau est resté une oeuvre d’art... pour l’époque et les quelques siècles qui ont suivi. Mais aujourd’hui, après toutes ces restaurations, on ne distingue plus grand-chose d’autre que ce sourire et ces yeux, sur fond d’une silhouette simpliste. Rien à voir avec nos techniques modernes qui captent l’âme même du modèle et qui permettent de sentir palpiter même les plus petites veines du visage, lorsque le photique-portrait est réalisé par un artiste. Comme moi, évidemment !

Il n’empêche que je n’aurais pas dû lui promettre que je pouvais faire mieux.

Autant il est facile pour moi de réaliser un portrait, au sommet de mon art, autant il est effectivement difficile de faire mieux que ce sourire. Depuis une semaine déjà, j’ai essayé tout un tas de trucs, en commençant par les plus usuels. Aucun des modèles que j’ai trouvés n’est capable de sourire comme cela, en regardant ailleurs comme si vous aviez quelque chose derrière vous, derrière votre épaule droite. J’ai même essayé de les faire bouger en permanence, puis de capter l’image clé. Normalement avec ma caméra photique à 10 000 images par seconde, toute trace d’âme est visible, même les plus fugaces. Mais autant je m’en suis rapproché quelques fois depuis lundi, autant je n’ai jamais pu l’attraper.

J’ai essayé de faire apparaître derrière mon épaule droite des événements très divers qui feraient apparaître chez mes modèles ce sourire précis, ou même un plus beau sourire encore.

Je refuse de demander à Allanda de poser pour moi. Si cela ne marche pas, elle se moquera de moi dans tous les salons. Si cela fonctionne, elle dira que c’est grâce à elle, pas à moi. Et je me serai ridiculisé devant elle et tous les témoins de notre pari. Elle ferait un très beau modèle pourtant. Elle est si belle. Pourquoi doit-elle être si peste avec moi ? Nous pourrions faire un couple merveilleux d’artistes, chacun dans son genre, moi en photique et elle en anapeintique. Deux arts concurrents mais qui font appel à des sens si différents qu’il faut être de vrais esthètes pour admirer pleinement les deux... comme moi et Allanda.

Elle m’a donné jusqu’à ce soir pour lui montrer le portrait qui est censé éclipser Mona Lisa. Il ne me reste qu’une heure, puis elle franchira la porte de mon atelier. Et je n’ai toujours pas d’idée. Il va falloir que j’avoue mon impuissance. J’espère avoir quand même le temps de faire l’amour avec elle auparavant. Ca au moins, ça nous réussit toujours. J’aime regarder ses yeux pendant que nous jouissons. Si je pouvais capter son visage à cet instant précis...

... Mais oui ! Il me reste une heure mais il me suffit de quelques minutes pour installer mon système photique, que je déclencherai d’un clignement des paupières. Il sera installé dans le mur, face au lit, à côté de la porte et face au lit. Elle n’y verra rien, et j’aurai le temps de finaliser mon oeuvre pendant qu’elle prendra sa douche ensuite. C’est génial !

Allanda vient d’arriver. Elle est belle comme la Joconde. On dirait qu’elle s’est habillée à l’ancienne exprès. Je souris. Elle me sourit. Nous échangeons peu de mots et nous retrouvons au lit. Comme à chaque fois que nous nous rencontrons. Je choisis soigneusement la position où elle sera presque face à ma caméra. Elle me regarde intensément. Elle est si belle. Nous en sourions tous les deux. Je me laisse aller et elle aussi. Nous jouissons. Au moment précis où cela se déclenche, je cligne des paupières, et sa main à côté de sa joue droite se convulse une fraction de seconde. Elle est adorable.

Allanda s’est levée au bout de quelques minutes. Elle prend sa douche. Elle y met le temps, heureusement pour moi. Je dessine l’image photique au moment précis du début de son orgasme. Je la plaque sur le meilleur portrait que j’ai réalisé cette semaine. Voilà. C’est parfait. Elle ne se reconnaître pas et le portrait est merveilleux. Un sourire surpris et inquiet, joyeux et plein d’attente, et des yeux qui font un brusque écart à droite comme si elle regardait la caméra. Je suis très fier de moi. J’attends qu’elle sorte de la douche. Je crois avoir gagné mon pari.

Elle sort. Nue évidemment, comme moi. Elle me dit « Alors, ce portrait ? ». Je lui souris et lui dévoile mon oeuvre. Elle le regarde pendant de longues secondes. Puis elle dit « Pas mal ». Et elle ouvre sa main droite. Une anapeintique se déploie au-dessus. Un homme, en train de sourire et de regarder en face, comme si ses paupières étaient en train de s’abaisser, ou de se relever. Avec un sourire encore plus parfait que celui de mon oeuvre. Je regarde ce portrait pendant de longs instants. Puis je me tourne vers elle, la prends dans mes bras et lui dit : « Et si nous détruisions ces portraits ? Il ne sont que pour nous, non ? »

Elle sourit et acquiesce. Elle a un si beau sourire. Elle m’entraîne vers la chambre.
Le reste ne vous regarde pas.


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