mardi 10 novembre 2015

Lettre de David à Donald : déclaration d'amour ou rupture ?

Le Premier ministre btitanique a rendu public aujourd'hui la lettre envoyée au Président du Conseil européen, Donald Tusk, pour entamer les négociations sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l'Union. Texte intégral en anglais ici, merci à The Guardian.

Nous entrons donc tous dans une phase complexe de négociation politique et diplomatique qui va peser quelques mois (et années) sur l'Union européenne. Tous les pays sont concernés, à des titres divers, par les revendications britanniques. Certains comme la Pologne, souvent citée en contre-exemple, souhaitent profiter au maximum de l'Europe avec leur diaspora - notamment présente en Angleterre - tout en étant protégés chez eux (rappelons que Donald Tusk est polonais) ; d'autres, comme le Bénélux - ensemble de trois pays fondateurs - défendent mordicus l'avenir fédéraliste de l'Europe, face à une Europe des Nations où peu de choses restent entre les mains de l'Europe supra-nationale ; en France, le calendrier des négociations tombe mal avec 2017 et la montée des xéno-europhobes comme le FN (mais il y en a d'autres qui surfent sur l'anti -Europe... Enfin, chaque pays va peut-être vouloir ajouter ses propres revendications, telles des Pénélopes qui détricotent les traités signés à d'autres epoques.

Les raisons derrière cette lettre sont connues. C'est principalement grâce à la promesse d'un référendum sur le maintien ou non (in or out, le fameux Brexit) que Cameron et son parti ont gagné les élections récemment. C'est aussi un mouvement îlien de fond de la société britannique de rejeter tout ce qui minore le pouvoir national. C'est enfin un moyen de mobiliser contre l'Europe, donc de ressouder un pays divisé, quoique sur ce dernier point les écossais sont menaçants : cela pourrait relancer l'idée d'une scission de l'Ecosse, nation beaucoup plus européenne que sa voisine du sud.

Les diplomates vont adorer. C'est un jeu de dupes, ou de poker menteur comme dit Le Monde, mais c'est un jeu nécessaire. Il s'agit d'une lettre de début de négociation. Les cartes sont encore cachées et ces demandes de toutes façons connues depuis des semaines. Le moment est également bien choisi, en pleine crise des migrants un peu partout, et à Calais en particulier.

Quelques idées extraites de cette lettre :

Page 1 : Cameron explique que tout ceci vient du peuple britannique et que les autres Chefs de gouvernement sont le plus souvent d'accord. Il se pose en chef de bande, reconnu et assumant ce rôle. Une déclaration qui peut en choquer certains.

Page 2 : le mot clé qui résume la lettre est flexibilité, ce qui va évidemment à l'encontre du mot Union et de tous les rôles normatifs. Chacun doit être respecté dans ses différences. Un vrai débat idéologique sur l'autorité, inflexible ou flexible, et pas seulement au niveau des modalités de mise en œuvre. Puis Cameron détaille les quatre axes.

Pages 2, axe gouvernance économique : monétaire plutôt. L'idée n'est pas de revenir sur les traités actuels, mais d'acter le fait que l'Union européenne peut avoir plusieurs monnaies, pas seulement l'Euro, et que toutes ces monnaies apportent les mêmes droits. Il s'agit ici de soutenir la place financière de Londres et de sa City. Pourquoi pas, d'ailleurs d'autres pays se joignant à la livre Sterling et non à l'Euro ? Toute tentative de faire de l'Euro une monnaie privilégiée au sein de l'Union serait donc interdite. S'il n'en reste qu'une autre, ce sera la Livre ! Une gouvernance éclatée donc, jamais supranationale, tant pis pour la Banque Centrale Européenne...

Page 3, axe compétitivité : un axe classique chez les libéraux et conservateurs. Cameron souhaite aller plus vite dans plusieurs domaines - marché numérique, marché des capitaux, traités entre grandes zones comme avec les USA - mais aussi réduire les normes et réglementations actuelles. C'est une démarche normale de la part d'un gouvernement de droite, qui correspond d'ailleurs à la majorité des pays de l'Europe, à l'exclusion de la France et de l'Europe du Sud.

Page 3-4, axe souveraineté : comme son nom l'indique, il y a un côté royal et rule britannia dans ces demandes. Il s'agit de supprimer définitivement pour le Royaume-Uni l'idée d'une intégration plus poussée, pourtant signée par le pays dans son traité d'adhésion. C'est un moyen de forcer la main à tous les futurs gouvernements ultérieurs du pays, mais c'est une posture illusoire. Il s'agit aussi de diminuer le rôle du Parlement européen en y substituant "plusieurs" parlements nationaux dans certains cas. Il s'agit de réellement mettre en œuvre la subsidiarité, ce principe flou et bien pratique qui dit que chaque fois que c'est possible, c'est aux nations de décider, et à l'Union seulement quand c'est nécessaire (c'est à dire très peu souvent). La sécurité nationale est évidemment au cœur de cette question, surtout en ce moment (exemple Calais).

Page 4-5, axe immigration : justement ! La Grande-Bretagne devrait être le pays européen le plus peuplé en 2050 (pas certain du tout, çà, juste un argument de campagne) et doit donc contrôler mieux son immigration. Étrangement l'argumentaire est fondé sur les tricheurs et clandestins, sur les criminels aussi, pour arriver progressivement à la mesure la plus forte de cette lettre : réduire ou supprimer les avantages sociaux aux immigrés européens officiels pendant quatre ans. Il s'agit clairement d'une mesure discriminatoire, en théorie officiellement interdite par l'Union européenne, mais c'est une promesse de campagne de Cameron... Un des sujets les plus chauds, habilement déguisé et présenté en pleine crise du droit d'asile, qui n'a rien à voir. On imagine déjà les amalgames des xénophobes et les réactions outrées des pays exportateurs de force de travail au sein de l'Union.

Page 6 : une menace à peine voilée, enfin : si nous arrivons à un accord allant dans ce sens, je suis prêt à faire campagne pour le maintien dans l'Union (à l'occasion du référendum promis et utilisé comme une épée de Damoclès)... Cameron, ne dit pas ce qu'il ferait s'il n'y avait pas d'accord... A vous de le deviner.

Intéressant non ?

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