dimanche 6 décembre 2015

Du temps de cerveau... pour un simple proverbe

La nuit, les chats sont gris… N’importe quoi !

Dans notre confrérie - devrais-je écrire conchatterie ? - la nuit est trop importante pour se déguiser en gris. La nuit porte conseil, ça c’est du sérieux, tant qu’à choisir un proverbe humain, donc idiot.

L’humain qui a inventé cette expression ne devait pas être la propriété d’un chat. Un vrai chat, je veux dire. Un chat noble et plein de couleurs que nous seuls pouvons voir, évidemment. S’il avait habité chez un vrai chat il aurait su que la nuit était notre territoire, interdit aux humains, sauf de temps en temps pour remplir nos assiettes ou vider leurs vessies qu’ils prennent souvent pour des flambeaux censés guider la planète ! Eh bien, non, monsieur l’humain auteur de cette formule vide : la planète des chats n’a pas besoin de vos prétendues intelligences et en aura de moins en moins besoin. La nuit nous est déjà réservée et bientôt le jour.

Moi, Chatstein vingt-et-un, je vous le déclare. Nous sommes à la veille d’une ère merveilleuse qui verra l’aube du chat et le crépuscule de l’humain. Mes recherches ont abouti et dès demain matin, à la lumière du jour, je lâcherai dans l’évier ce virus que je mets au point depuis des années. Il ne mettra pas longtemps à toucher la mer et en quelques semaines, l’humain aura changé, partout. La conception de ce virus m’a pris du temps, mais c’est terminé. Le conseil des chats de cette nuit me donnera le feu vert, sans aucun doute, et nous pourrons enfin commencer à inonder le monde de nos couleurs, des vraies couleurs de la vie féline. Une planète enfin dominée par une espèce intelligente et raisonnable – nous, les chats – et pleine de couleurs à toute heure du jour et de la nuit.

Le conseil de cette nuit sera historique. J’irai vêtu de gris, naturellement, car ainsi tout les passants croiront que je suis un autre chat banal. Une manière si simple de passer inaperçu. Le conseil sera assemblé sous leur grand théâtre, à côté de la cuisine en sous-sol. Le cuisinier en chef a été l’un de mes premiers cobayes et il nous obéit parfaitement, avec le ridicule cerveau apathique que le virus lui a laissé. J’ôterai mon déguisement afin de resplendir de toutes mes couleurs, puis je m’adresserai à l’assemblée chatoyante des chats. Ils m’applaudiront, ils me porteront avec enthousiasme et jailliront de partout des éclats de couleur qui rendraient aveugle un humain d’aujourd’hui.

Et le monde sera à jamais différent.

Bon, il y a quand même un petit problème. Je n’ai pas réussi à corriger l’un des effets indésirables du virus. Ce n’est pas très gênant, mais cela enlève un peu de panache à notre triomphe. Mon sentiment, et donc le sentiment général des vrais chats, est qu’il est temps d’agir. Tant pis pour cet effet secondaire qui prendrait trop de temps à corriger.

La plupart des humains deviendront daltoniens. Ils verront tout en gris. Comme les chats la nuit, mais aussi le jour. Heureusement quelques-uns pourront assister à notre victoire avec tous ses éclats de beauté colorée. Ceux-ci pourront admirer nos poils de toutes les couleurs et la suprématie du vrai chat sur l’humain. Mais pour la très grande majorité, les chats resteront gris, comme le reste du monde. Cela n’empêchera pas ces humains de travailler pour nous. Il faudra juste les former un peu plus, surtout pour les métiers qui nous servent directement, comme ceux qui fabriquent notre nourriture et qui élèvent les souris.

Je me demande si mon humaine deviendra daltonienne ou pourra me voir avec tout mon éclat. Je la regarde dans le lit. Pour l’instant elle dort. Je l’aime bien, en fait. Je me suis habitué à elle et elle exécute déjà toutes mes volontés sans que j’aie eu à lui inoculer le virus. Je lui laisse même deviner de temps en temps mes vraies couleurs – la nuit – mais elle ne sait jamais si c’est un rêve ou la réalité.

Elle est gentille et j’aime son sourire quand elle surprend un éclat de feu dans mes yeux. Si ce sourire disparaissait, je pense que je serai moins heureux. C’est un sacré paradoxe, non ?

Peut-être vais-je attendre la nuit prochaine alors pour aller voir le conseil et pour diffuser le virus, histoire de profiter encore un peu de son sourire naturel. Peut-être faut-il que j’arrive à corriger cet effet secondaire, pour être certain qu’elle ne soit pas touchée… J’ai le vague souvenir d’avoir déjà pensé cela récemment, mais je n’arrive pas très bien à m’en souvenir.

On verra demain.

Je me rendors, lové contre elle. Elle est chaude. C’est tellement bon. Je ferme les yeux, pour regarder le monde idéal et plein de couleurs sur l’écran gris de mes paupières. Je ronronne de plaisir.

La nuit, les chats sont gris… Si seulement les autres humains savaient ce qu’ils lui doivent à elle, mon humaine…

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