dimanche 13 mars 2016

Du temps de cerveau pour... Une histoire chaude

Dirina était une femme comme toutes les autres. Sur notre planète, me direz-vous, c'était facile puisqu'elle était la seule femme. Dirina représentait à elle toute seule la féminité et la normalité. Elle vivait alors dans ce qu'on appelle encore la base terrienne, une enceinte protégée et qui grouillait de robots en tous genres. Elle y travaillait, ou plutôt elle regardait les robots travailler pour elle et pour la Terre. Elle était la seule humaine sur notre sol. La Terre avait trop de planètes à coloniser pour y envoyer plus de quelques représentants. Notre planète était trop insignifiante pour avoir besoin de plus d'un représentant, une ambassadrice en fait, dans notre cas.

Dirina nous avait tous surpris en arrivant. Ses robots avaient rapidement détruit toutes nos forces de défense, bien faibles à l'époque, puisque c'était avant l'invention du radiateur. Elle s'était installée dans la base qu'ils avaient assemblée en quelques jours, puis elle avait commencé à nous rencontrer. Elle avait eu du mal à nous comprendre. Puis elle avait commencé à se gratter, évidemment. 

Il faut que je vous dise quelque chose à propos de notre planète. Quelque chose qui vous surprendra peut-être car à notre connaissance il n'y en a pas d'autres comme elle. Notre planète est asexuée. Complètement asexuée. La notion de genre n'y existe pas. Il n'y a pas de mâle ou de femelle chez nous. Quelles que soient les espèces, des plus petits insectes aux plus grands herblas, tous les individus ont le même genre, si vous préférez. J'ai entendu parler de planètes avec plus de deux genres, ce qui laisse entrevoir des combinaisons complexes pour la reproduction et toutes sortes d'autres activités, ou plus fréquemment d'espèces hermaphrodites où chaque individu peut se reproduire tout seul. Notre planète est plus simple que cela. Tellement simple qu'on se demande pourquoi elle est la seule.

L'air que nous respirons est assez semblable à celui de la Terre, m'a-t-on dit, si ce n'est la présence de l'etsch. L'etsch est partout sur notre planète. Dans l'air, mais aussi dans la terre, l'eau. Dans nous aussi, nous, les habitants de cette planète que nous appelons évidemment Etsch. L'etsch est petit et indétectable. Les humains l'auraient détecté qu'ils ne seraient jamais venus ici, et Dirina ne serait pas où elle est. L'etsch nous ensemence tous. Dès que l'un de nous choisit de se reproduire, il lui suffit de fermer son organe, et l'etsch l'envahit. Et cette irruption d'etsch dans le vide ainsi créé marque le début de ce que vous, les terriens mammifères, appelez la gestation.

Certains de nos philosophes ont argumenté sur l'etsch. Est-ce un principe sexué ? Est-ce une sorte de divinité ? Formons-nous une symbiose ? Pourquoi sommes-nous la seule planète avec de l'etsch ? Ces questions n'intéressent évidemment personne, mais je comprends que certains esprits aient besoin de se poser des questions. Tous ces philosophes n'ont pas un organe deficient, mais la plupart oui. Les pauvres. Incapables de se reproduire, même en leur faisant prendre des doses massives d'etsch...

Nous avons parlé de l'etsch à Dirina peu après son arrivée quand elle a commencé à nous recevoir. Nous lui avons tous dit la même chose : "L'etsch est partout et il est déjà dans vous. Vous comprendrez ensuite". Évidemment, au début, elle ne comprenait pas notre langue, malgré les efforts de ses machines sophistiquées. Elle nous avait regardés poliment. J'étais dans la délégation, en tant que scientifique en chef. Nous avons toutes sortes de formes, ici, mais Dirina était unique. On pouvait même dire qu'elle était belle. C'est au bout de la troisième visite qu'elle a commencé à se gratter lorsque l'etsch a trouvé comment s'y prendre avec elle, et elle a commencé à comprendre notre langue. L'etsch était en elle et elle le savait maintenant. Elle arborait un sourire surpris et nous eûmes de longues conversations pour lui apprendre tout sur l'etsch. Elle ne serait jamais complètement comme nous, mais cela n'a pas d'importance. L'etsch etait en elle, elle était donc l'une des nôtres.

Dirina est vite devenue pour nous un sujet brûlant de conversation. Elle était un cas unique, la seule personne à avoir rencontré l'etsch bien après sa naissance. En plus elle etait scientifique elle-même et voulait comprendre. J'ai dit plus tôt que nous n'avions pas besoin de plusieurs sexes pour nous reproduire, mais cela ne nous empêchait pas de prendre du plaisir avec d'autres personnes. Et Dirina était vraiment très belle. Nos corps étaient très différents et difficilement compatibles, mais nous trouvâmes vite le chemin de nos organes respectifs, entre deux expériences dans mon laboratoire. Nous avions même du mal, de plus en plus souvent, à suivre le fil de nos réflexions car cette relation surnaturelle, ni etschienne ni humaine, perturbait nos processus logiques. 

Le jour où elle eut l'idée du radiateur est un jour mémorable à jamais. Nous avions bu de la liqueur d'etsch, spécialement raffinée par moi. Je lui avais montré ma petite distillerie personnelle et elle avait posé beaucoup de questions sur la température. La température ? J'avais eu du mal avec ce concept. Elle m'avait expliqué mais c'était un concept trop étrange pour moi. Un concept inutile lui ai-je dit, car pourquoi s'intéresser à un concept qui n'avait aucune application. Seule la concentration d'etsch etait utile. Elle m'avait regardé avec des yeux ronds puis elle s'était endormie dans tous mes bras. Elle n'avait pas dormi en fait. Elle avait réfléchi. Puis elle s'était relevée subitement et avait couru vers le laboratoire, en m'entraînant. 

Elle m'expliqua son idée. Une idée bizarre, mais je me dit que c'était une piste intéressante. Elle prépara une liqueur forte d'etsch qu'elle versa dans une boîte puis elle relia la boîte à ce qu'elle appela une "résistance". Quand elle fut satisfaite, nous prîmes un transport pour le Grand Désert. L'air y était pauvre en etsch ce jour-là, encore plus que d'habitude dans cet endroit le moins etsché de la planète. Je frissonnai à cause de ce manque d'etsch. Elle et moi étions couverts de vêtements etschés pour garder notre énergie. Puis elle brancha le "radiateur" et nous commençâmes tout de suite à en ressentir les effets. L'etsch se multipliait à une vitesse effarante. Nous fûmes obligés d'enlever nos vêtements en moins d'une minute. L'air s'etschait tout autour de nous comme si nous étions plongés dans un bain de liqueur. Un doux bonheur nous envahit.

Dirina était humaine, souvenez-vous. Le radiateur etait réglé à la puissance maximale. Son organe se transforma, en tous cas l'équivalent chez les humains. Elle devint asexuée comme nous. Et elle sut qu'elle ne pourrait plus jamais vivre sans etsch. C'est à ce moment que le plan germa. Elle mit un mois à le peaufiner. Elle mourut lors du dernier test avant envoi. Elle avait voulu faire ce test toute seule, sans assistance. Elle etait obstinée, Dirina ! Elle se trouvait dans un vaisseau en orbite autour de notre planète, avec un petit radiateur portatif d'etsch. Elle le brancha et se déshabilla, puis elle sortit dans le vide. Tout se passa bien pendant dix minutes. Elle nageait nue dans le vide intersidéral comme si c'était son milieu naturel. Ni la "température" ni les radiations ni l'absence d'air ne la gênaient. Elle me sourit à travers le hublot. Puis je coupai le fil qui la reliait au vaisseau. Elle mourut très vite. 

Aujourd'hui, ses anciens robots, reprogrammés, sont prêts à partir sur toutes les planètes colonisées par les humains et sur leur Terre. Chacun d'eux est équipé d'un radiateur. Une fois arrivé, il l'allumera et chaque planète s'etschera en quelques jours. Bientôt l'univers connu sera rempli d'etsch. Et pour l'univers inconnu, cela prendra juste un peu plus de temps, maintenant que, grâce à ces radiateurs, nous pouvons voyager sans risque partout où nous voulons.

Merci Dirina !

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