mercredi 6 avril 2016

Coup de froid sur la prostitution

Vote final aujourd'hui pour le projet de loi socialiste sur la prostitution. Un long débat (sans jeu de mots aujourd'hui, ou alors involontaires, comme des lapsus linguae chers aux psys, ou alors dûs à un correcteur orthographique bredouillant) depuis plusieurs années, avec des opinions très tranchées. C'est l'Assemblee nationale qui a le dernier mot comme toujours, malgré un Sénat plus conservateur.

Le cœur de la future loi est la pénalisation du client. Jusqu'à maintenant étaient interdites les maisons closes (depuis 1946 quand même), le proxénétisme, le racolage actif, le racolage passif depuis Sarkozy, mais c'était toujours la prostituée la coupable. Le client etait toujours blanchi, mot savoureux quand on sait que son argent sert la plupart du temps à justement alimenter des réseaux divers et de blanchiment. Le retournement de situation sera spectaculaire après la loi : c'est le client le coupable et la prostituée la victime. Les réseaux qui pilotent la prostitution sont eux aussi coupables évidemment, car en France on estime que sur les 30 000 prostituées recensées, 83% sont étrangères (sans papiers) et sont sous la coupe de réseaux de traite., comme aux pires temps de l'esclavage. On est loin de l'imagerie traditionnelle de la pute mal rasée qui vous dit bonjour le matin quand vous partez travailler en passant par Pigalle et qui fait la queue derrière vous pour acheter sa baguette en charentaises (mais ça existe aussi). Je précise d'ailleurs que mon usage des genres masculins et féminins ici n'est pas limitatif, toutes les combinaisons possibles étant imaginables, et même les impossibles, mais le client de la prostituée est quand même le cas dominant et écrasant. Le métier n'est donc pas interdit, mais ses clients ne doivent pas se faire prendre (en flagrant délice). 

C'est donc une contravention à 1500 euros qui pourra être dressée par un agent de police si est avéré « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ». Le tronçon de Boulevard entre Blanche et Pigalle va être sacrément agité à partir de la promulgation de la loi... Les nombreux bars et salons de "massage" du quartier (pour ne citer que celui-ci) vont aussi devoir mieux fermer leurs portes pour éviter les PV. Saviez-vous d'ailleurs que beaucoup d'immeubles du quartier abritant des sex-shops sont possédés non par des démons mais par de riches propriétaires connus du coin qui se font très discrets. Mais c'est un autre monde. Pour explorer Pigalle et ses évolutions, lire ce très bon article.



Ce mouvement de pénalisation du client nous vient du froid de Scandinavie, où il est difficile de tapiner dans la rue en hiver. La France devient ainsi le premier pays européen non scandinave à voter une telle loi. Il y a donc les pour et les contre, même si les "contre" vont perdre avec l'adoption de la loi. A lire deux articles pour comprendre leurs arguments, avec des positionnements différents : ici et . Les dangers sont réels : clandestinité renforcée des réseaux, développement de l'offre Internet et pourquoi pas Uberisation de la profession, moins d'indicateurs et d'indicatrices sur les réseaux de traite, inefficacité d'une loi dans des temps où les policiers ont autre chose à faire qu'à verbaliser les clients ou les mecs qui font pipi dans la rue ou les propriétaires de chiens qui ne ramassent pas les crottes de leurs bibis... Mais comme toute loi importante, il y a toujours des effets pervers, c'est pour une fois le cas de le dire. Et ce n'est pas par ce qu'il y a de tels effets qu'il faut ne rien faire. Il faut connaître ces effets, les analyser et en tirer des actions pour les minimiser et se donner les moyens de mettre en œuvre ce qu'on a décidé. En avoir simplement peur est stérile.

Alors, soit cette loi sera appliquée, progressivement et avec des jurisprudences établies petit à petit, et elle aura un effet important sur la prostitution et les réseaux de traite, soit elle tombera dans les oubliettes, peut-être même dès 2017 avec le retour de la droite au pouvoir. Mais elle marque en tous cas un changement symbolique important, du même ordre de grandeur que la loi sur le mariage pour tous. Elle transcende en effet les relations hommes femmes traditionnellement dominées par une vue conservatrice et elle repositionne la place des relations sexuelles dans la société. Elle va de pair avec la bataille contre le harcèlement sous toutes ses formes. Elle marque une intention humaine, humaniste, que je crois on peut qualifier de gauche (quoique les écologistes aient combattu cette loi avec verdeur). Mais la prostitution continuera...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire