mercredi 15 juin 2016

Le désir nous éloigne-t-il du vrai ? La philo au bac, un vrai désir.

En pleine sympathie avec les candidats au Bac (le premier diplôme de l'enseignement supérieur) qui planchent aujourd'hui sur l'épreuve de philo, j'ai choisi un sujet (série S) et je m'y suis collé, plein de vrai désir.
Mise à jour : Comme le Ministère de l'Education est organisé un peu n'importe comment, les sujets qu'il a distribué ce matin aux médias étaient ceux d'hier en Guyane... J'ai donc disserté sur un sujet pour la Guyane. Aujourd'hui les L de métropole ont disserté sur "le désir est-il par nature illimité ?" Un sujet différent mais ma conclusion reste valable pour ce sujet aussi !

Le désir nous éloigne-t-il du vrai ?

Une question appelle des réponses. Cette question en particulier cherche à mesurer la distance entre le désir et la vérité, et plus que la distance, la vitesse même avec laquelle ces deux concepts s'éloigneraient l'un de l'autre. Ou plutôt la vitesse avec laquelle le désir, maître des lieux, nous empêcherait d'atteindre la vérité. Toute question peut être arbitrairement tranchée dans un sens ou dans un autre, mais ni le désir ni la vérité ne sont univoques, c'est ce que j'argumenterai ici, en m'identifiant au "nous" de la question. Le moi est haïssable mais, en tenant cette plume, je représente ce "nous" englobant. Ma réponse repose sur une certaine approche de la vie, et de la place du désir et du vrai dedans, et sur une justification de cette approche.

Le désir semble supposer qu'on n'a pas encore atteint son objectif. Il cache une intention, consciente ou inconsciente, vers un but connu ou inconnu. Cela fait déjà quatre combinaisons possibles. Ce nombre augmente considérablement si l'on multiplie par d'autres facteurs : le type de désir, bien que la psychanalyse nous enseigne qu'il n'y a de désir que sexuel et issu de notre histoire personnelle : l'objet du désir, obscur ou non ; le caractère atteignable - réel - ou non du désir ; l'importance vitale du désir pour notre propre vérité ou une vérité sublimée ; sa durée dans le temps entre une impulsion incontrôlée et fugace et la lente construction d'un désir profond ; ou la distance entre nous et l'objet du désir comme l'a si bien dit Polyeucte à l'acte I, scène 1 de la pièce éponyme de Pierre Corneille "Et le désir s'accroit quand l'effet se recule", lapsus freudien avant l'heure qui fut d'ailleurs corrigé ensuite par des éditeurs prudes et voulant cacher leurs désirs, au grand dam des acteurs qui adorent dire cette tirade avec emphase. Le désir est donc multiple. Tous nos désirs ont-ils vocation à se réaliser ? Tous nos actes doivent-ils être guidés par le désir ? Dans l'instant, au moment où le désir émerge, on pourrait être tenté de le croire. Mais après ? Lorsque la vague du désir est passée sur le sable et que le ressac efface les traces de nos pas sur les sillons de notre mémoire, que reste-t-il de nos désirs ? Le temps est intimement lié au désir, comme cette vague qui submerge les grains de sable que nous sommes. Mais nous ne sommes pas guidés que par nos désirs, comme le pensent certains philosophes. Descartes ou Pascal nous parlent de raison et de religion, Kant de modèle moral et Freud de bataille intérieure. Les désirs qui concernent des choses vraies ne peuvent pourtant pas tous être réduits à des objets réels, comme le nouveau téléphone "intelligent" à la mode. En l'instance, le vrai est une dimension bien au-delà du réel et il faut de l'audace, toujours de l'audace pour s'y confronter. Opposer le désir au vrai, c'est vivre dans le fantasme. La vérité ne peut se satisfaire du fantasme, collectif ou individuel. Le "nous" est d'ailleurs ambigu dans ce contexte, puisqu'il fait référence à un désir intime et plus ou moins secret, ou à un désir collectif, lié à une communauté ou à un élan de foule, forcément éphémère ou nostalgique. Le vrai désir a besoin de vérité comme objet.

Le vrai fait pourtant peur. Il attire, comme la lumière fascine les papillons de nuit que nous sommes. Mais il y a tellement de lumières de couleurs différentes, allumées soit par les créateurs des Lumières, soit par des naufrageurs qui désirent nous attirer sur les récifs de l'intolérance et de leur vrai à eux, construit contre le vrai des autres. Comment choisir Le vrai, comment orienter ses désirs, comment les suivre avec confiance ? Le vrai est une poupée russe. Lorsque Clément Marot écrit son poème "A une Damoyselle malade", il pose un problème à tous ceux qui veulent le lire, le traduire dans leur vérité à eux, puisqu'il dit publiquement un désir intime. Lorsque Douglas Hofstadter tire de ce poème cette réflexion sur les différents niveaux de vérité dans "Le ton beau de Marot", presque vingt ans après avoir disséqué la notion de vrai et de vraisemblable dans "Gödel Escher Bach", il mesure l'intensité de la distance entre le vrai et l'intention. Lorsque Voltaire écrit à propos du poète "Clément Marot a rapporté deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé... C’est le deuxième qui a fait le plus de ravages !", il ne se moque pas de la vérité historique, il la replace également dans son contexte, son désir de compréhension de la grande vague qui façonne notre vérité d'aujourd'hui, quel que soit notre époque. Le vrai, de par son caractère transitoire peut déclencher chez nous l'envie - le désir - de l'atteindre à tout prix. Et lorsque ce n'est pas possible, car le vrai est trop ambitieux et le désir trop gourmand, le décalage entre désir et vérité du réel nous entraîne alors vers des rivages dangereux. Comme transformer son désir en intention maladive pour aller dans une direction impossible, mais vraie dans nos têtes embrumées par l'ivresse d'un flacon plein de désir. Le fanatique brûle de fantasmes qu'il prend pour des désirs, et la vérité absolue ne lui importe plus. Seule compte la vérité inventée par son désir.

Alors, le désir du vrai est le seul qui compte. Soyons ambitieux et surtout audacieux. Cette vérité qui nous attire vers le bonheur est la plus importante, sans lien avec le bon, avec l'heure ou pire avec ce bien-être que les marchands du Temple nous vendent à toute heure comme un remède miracle à l'absence de désir et à la tristesse d'une vérité déprimante. Le vrai, c'est le bonheur pour moi, et tout ce qui permet de s'en rapprocher et de rapprocher les autres de celle vérité simple, pour nous tous. Le désir, tout en satisfaisant nos pulsions, est le chemin qui nous permet d'espérer cette vérité. Bien loin de nous en éloigner, le désir est tourné vers le vrai et nous en rapproche. Le vrai désir, bien sûr. Savoir reconnaître le faux désir immédiat ou implanté par des manipulations diverses - et tellement bien décrites dans le Petit traité de manipulation mentale pour les honnêtes gens -  et savoir reconnaître les fausses vérités vers lesquelles le faux désir nous entraîne, donc les vérités dont il peut nous éloigner, telle est la question. Être ou ne pas être philosophe, voici le seul débat possible. Désirer réussir l'épreuve de philo est-il un vrai désir profond, personnel et non inculqué ? Si oui, alors, ce désir nous entraîne vers la vérité absolue : la note au Bac. Le monde n'est pas binaire, même quand il est noté sur vingt, et le Vrai réside dans notre capacité à lutter pour lui, à le désirer et à agir. Passer de l'idée à l'action est l'étape clé. Je disserte donc je suis, je désire donc je suis.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire