lundi 9 avril 2018

L'attaque du sperme rouge

Sourire à la lecture de cet article du Monde sur le "sperme rouge".

Irai-je de mes réflexions sur ce sujet hautement (ou bassement) politique ? Oserai-je ? Oui, allez, je me lance.

L'inné et l'acquis, vieux débat. Est-ce qu'en devenant un bon membre du parti communiste chinois, nos gênes sont modifiés et cette orthodoxie se transmet-elle à notre progéniture via nos spermatozoïdes ? La réponse scientifique est non, en occident, mais sait-on jamais, la médecine chinoise fait des merveilles et peut-être que contrairement aux fils de bourgeois qui lançaient des pavés il y a cinquante ans pour ne pas faire comme leurs pères, les chinois communistes font ils comme les paires de leurs pères les ont configurés ? Ce serait intéressant et un champ très prolifique pour les industriels, notamment ceux du numérique : imaginez un peu les enfants des fans d'Apple acheter automatiquement des Apple. Quelle manne !

L'eugénisme, qui consiste à ne garder que les individus jugés corrects, aptes et conformes à l'immoralité ambiante (cf Hitler par exemple) est un concept qui a vécu, mais dont la progéniture revient régulièrement dans l'actualité. Entre Trump qui rêve à des américains blonds, anglophones et chrétiens, et les chinois qui rêvent à une armée de clones de Xi, on est mal barrés, non ?

Vous remarquerez d'ailleurs qu'on parle ici de donneurs de sperme, donc de mâles. Les femelles ne servent donc visiblement pas à grand chose dans l'hérédité chinoise. Serait-ce pour contenter des vieux caciques du parti, incapables d'enfanter, afin de les récompenser par de beaux bébés aryens communistes ? Mes études en SVT sont lointaines mais je crois me souvenir que la femme joue un rôle dans l'héritage génétique.

Moi, je pense qu'il s'agit en fait de récompenser les cadres du parti (donc insoupçonnables, évidemment), surtout ceux en pleine possession de leurs forces intimes de conviction, en leur permettant d'aller (contre rémunération et lecture de journaux interdits ailleurs, avec des illustrations en couleur sur papier glacé pour durer plus longtemps) se masturber dans des banques capitalistes du sperme, après leurs dures journées de travail, comme les boutiques soviétiques réservées à la Nomenklatura de l'époque (avant Poutine évidemment). Ils sont payés (71 euros par don de soi, selon Le Monde toujours très bien informé). Est-ce plus cher qu'un acte sexuel illégal en Chine, je ne saurai dire. Un beau geste. On peut supposer, avec une telle annonce, que les donneurs potentiels de sperme pas tout-à-fait certains de leur qualité idéologique hésiteront à aller dans ces banques, de peur d'avoir à subir des tests déroutants et au risque de se faire mettre en taule s'ils ne réussissent pas à les passer.

La nouvelle annoncée a été retirée parce qu'un officier de censure s'est réveillé après le mauvais buzz créé par cette stupéfiante nouvelle. On ne saura donc pas comment mesurer la teneur en "haute qualité idéologique" des spermatozoïdes. On ne peut qu'imaginer... Imaginons alors des tests :
- utiliser un colorant, comme la fleur de cochinchine, pour détecter le sperme rouge dans un océan de sperme blanc (ou jaune).
- distiller les spermatozoïdes dans un tube à essai avec un filtre ne laissant passer que les objets communistes.
- installer une bifurcation avec un portrait de Xi et un portrait de Trump en face de chaque spermatozoïde, afin de ne prendre que ceux qui tournent vers le soleil levant.
- utiliser un boulier (évidemment) légèrement adapté
- n'utiliser que du sperme émis pendant que le donneur écoute de la musique militaire chinoise, sans image et mettre en prison tous les autres donneurs pervertis par l'imagerie occidentale nuisibles à la culture chinoise.
- mettre tous les lots dans les mêmes conditions climatiques identiques (l'air pollué de Pékin) et au bout de quinze jours n'utiliser que ceux qui ont survécu, car l'air est pur à Pékin pour ceux qui le croient et tant pis pour les autres.

On se moque, on se moque. Mais de telles dérives déontolo-idéologiques peuvent nous tomber dessus à tout moment, car les pressions politiques et financières sur les scientifiques sont telles que certains n'y résistent pas. Et pas qu'en Chine, n'est-ce pas ?

mercredi 4 avril 2018

Fable de l'usager qui se croyait un client

Il était une fois un groupe de quidams, chalands à leurs heures
Mais qui la plupart du temps passaient leur temps dans les transports :

Pour aller travailler
Pour revenir du travail
Pour commuter entre leurs domiciles éloignés
Pour aller faire des courses
Pour revenir des courses
Pour partir en mission ou en rendez-vous
Pour revenir de ces missions professionnelles
Pour partir en vacances ou en week-end
Pour en revenir
Ou pour des raisons inavouées et inavouables,
Dont le voyage pour le plaisir, le transport amoureux et j'en passe.

Survint la grande grève de 2018, là où c'est possible, à la SNCF. Ils essayèrent de trouver des moyens de transport. Pas facile. Se lever plus tôt ou partir la veille, rentrer plus tard ou le lendemain, ne pas bouger, prendre une RTT, oser des moyens alternatifs de transport... Ils lisaient les journaux locaux et l'Internet source de solutions (mais aussi de problèmes de vie privée).

On y parlait d'usagers, avec un r, pas d'usagés comme des déchets inutiles et bons à jeter, sortes de mouchoirs sales destinés simplement à polluer la planète dont tous les automobilistes se foutent (mais ce n'est évidemment pas leur faute, hein ?)...

Alors, le groupe de quidams se mit à rechercher la signification du mot usager. Il semblerait qu'on parle d'usager d'un service public et de client d'un service privé, ou même d'adhérent pour une personne membre d'une organisation (forcément privée). Les mythologies derrière ces mots, usager-client principalement, sont nombreuses et différentes selon les angles. Un service public, c'est, au sens matériel, une activité d'intérêt général, assurée sous le contrôle de la puissance publique, par un organisme (public ou privé) bénéficiant de prérogatives lui permettant d'en assurer la mission et les obligations (continuité, égalité, mutabilité) et relevant de ce fait d'un régime juridique spécifique (en France : le droit administratif)  Beaucoup de services rendus se targuent d'être des services publics quand ça les arrange et des services commerciaux le reste du temps. C'est le cas notamment dans le transport, où les frontières sont floues et où l'on confond souvent l'organique (l'organisation qui assure le service) et le matériel (le service rendu).

Le groupe de quidams s'interrogea sur les différents critères : service public, service du public, service directement ou indirectement du public, service pour lequel on n'a pas vraiment le choix du fournisseur ? Client qui a son mot à dire puisque c'est lui qui décide d'acheter (influencé quand même par le marketing commercial, politique ou syndical ? Consommateur qui utilise un service qui a été conçu et acheté par quelqu'un d'autre (comme une collectivité territoriale) ?

Et puis, les quidams se rappelèrent que la notion de client supposait de la part de ceux qui le servent une sorte de respect, voire une qualité de service. Lorsqu'un serveur dans un restaurant canadien se fait virer pour cause de service agressif et irrespectueux des clients, il ne trouve par exemple rien de mieux pour se justifier que d'expliquer qu'il est français (et donc que son irrespect est naturel, voire congénital). Maudits français, comme on dit au Québec ! Chaque endroit a ses traditions et sa culture, mais notre groupe de quidams est français et ça le fait rigoler, sauf quand il attend son train sur un quai bondé et devant des rails déserts.

La grève joue un rôle central dans notre système, en France, et tant mieux car c'est l'un des droits fondamentaux, parmi d'autres. C'est souvent le dernier moyen d'enclencher des négociations entre salariés et patrons, comme on dit. C'est parfois le premier, notamment dans les transports où l'usager d'un service public non assuré joue la variable d'ajustement. Il faut dire que c'est très efficace et que chacun est habitué à jouer sa partition avec une habitude certaine, après des années de répétitions bien orchestrées : les syndicats de salariés (cheminots ou pas) préparent les prochaines élections (à l'automne cette année) et cherchent à créer le plus possible de perturbations en coûtant le moins cher aux salariés, en jours de grève non payés ; les patrons ou l'entreprise - dans le cas de la SNCF, il y a les vrais patrons (Pepy et al.) et les patrons vrais (le gouvernement) - cherchent à assurer le plus possible de service y compris en minimisant les effets sur ce qu'ils appellent les clients ; les usagers/clients, justement, cherchent à utiliser d'autres solutions, à se plaindre ou à parler devant les micro-trottoirs de la presse ; la presse cherche des coupables et des histoires à monter en épingle, dès 6 heures du matin sur les quais. De toutes façons, tout se terminera autour de quelques tables de négociation, quels que soient les résultats de la grève.

Dans les transports, on parle de chaîne, au singulier. Au pluriel aussi de temps en temps, car nos pieds sont parfois lourds. Il suffit qu'un maillon soit faible pour que toute la chaîne soit fragilisée et un train, mine de rien, c'est un gros paquet de chaînes, du conducteur au contrôleur, en passant par la gare et les postes d'aiguillage, les ateliers de maintenance et le ménage, sans oublier la planification en amont et le service aux usagers/clients, ou les informaticiens chargés de créer des liens entre des tas de systèmes informatiques différents et qui ne communiquent pas toujours très bien (puisque même les contrôleurs disent passer par l'application mobile grand public pour en savoir au moins autant que les passagers).

Finalement, le groupe de quidams décida de faire comme avant, et advienne que pourra. Carpe diem. On verra bien. De toutes façons, les enjeux nous dépassent... etcétéra.

Ils décidèrent quand même de voter entre eux pour savoir s'ils étaient des usagers ou des clients, sachant que plusieurs étaient aussi adhérents (à des syndicats, des associations ou des groupes sur les réseaux sociaux). Les votes furent partagés à 50-50. Ils cherchèrent alors un quidam pris au hasard dans la rue pour les départager et ils tombèrent sur moi. Ils expliquèrent en long et en large leurs arguments, puis me laissèrent cinq minutes pour réfléchir.

Mais je n'avais pas le temps, j'avais un train à prendre et il n'y en avait pas d'autre après. Alors je les ai laissés là, Grosjean comme devant. J'ai souri, j'avoue, un peu jaune quand même (et malgré le fait que cela soit la couleur des briseurs de grève). Pourquoi serait-ce à moi de trancher un débat aussi vieux que le XIX° siècle ? Aujourd'hui je me sens surtout usager jetable et client jeté. Et je pense à tous ceux qui se sentent mal. Aujourd'hui et lorsque l'inéluctable concurrence privée arrivera, soit pour assurer un service public à des usagers éclairés, soit pour vendre de meilleurs services à des clients en demande, soit les deux. Dans très peu de temps.

Certains parlent d'ailleurs de voyageurs pour remplacer la dualité usager-client par leur objectif : voyager, tout simplement. On sent bien là une source de gêne dans les discours des uns et des autres, car il ne faut pas confondre l'être et le faire, le statut et les rôles. Mais c'est un sujet traditionnel d'amalgame que de confondre les concepts. On parle de PAX dans l'aérien par exemple pour résumer le mot "passagers", ceux qui ne font que passer et qui finalement ne sont donc pas importants, au point de voyager de temps en temps comme des paquets.

Toute fable doit se terminer par une morale comme disent les fabulistes. Alors ? Quelle morale proposez-vous ? Je vous propose celle-ci : Les conseilleurs ne sont pas les payeurs (1568)...

mardi 3 avril 2018

Premier Trois Avril

Monsieur le proviseur,

Je soussigné, (illisible), fils de Georges Lauteur, voudrais par la présente excuser mon père. En effet, il n’y a pas eu cette année de poisson d’avril sur ce blog. 

Je sais que c’est impardonnable, mais je voudrais cependant faire appel à votre grande mansuétude. 

Mon père a voulu exprimer plusieurs excuses et je vous laisse juge de leur importance, pour ma part, en bon fils, je me suis fait ma propre opinion :

- d’abord, cette année, le premier avril est tombé un dimanche. C’était tout à fait inattendu et imprévisible, même pour un bon statisticien comme mon père, lui qui prévoit pourtant toujours avec exactitude les noms des jours de la semaine. Il était naturellement impensable de poster un message un dimanche, puisque c’est jour de pêche dans la Seine, tant que c’est encore autorisé. Et comme vous le savez, la Seine fait beaucoup de méandres jusqu’à la Manche et malgré l’huile de coude mon père était trop fatigué pour écrire, sans oublier le fait que c’est interdit par le code du travail le dimanche. 

- ensuite, c’était le dimanche de Pâques et même, ô surprise, le lundi de Pâques le lendemain. Mon père a dû peindre tous ces œufs la veille et n’a pas eu le temps de préparer son poisson d’avril. Le lundi il a fallu aussi nettoyer tous les enfants, leurs vêtements et les canapés tachés avec la peinture de mauvaise qualité qui avait déteint. Vous comprenez bien que dans ces circonstances, il était humainement impossible de créer un tel poisson d’avril même pour un homme qui aime si poissonnément les poissons. 

- de plus, du fin fond de la Normandie, habituellement desservie par des trains en retard, il a fallu essayer d’organiser un rapatriement avec des trains absents et néanmoins bondés. Pas facile et assez prenant, alors même que la marée n’attend pas. Les poissons n’ont pas été livrés et ont dû être consommés sur place. Désolé pour vous, ils étaient très bons malgré le froid, mais nous étions couverts car comme dit notre grand-mère, en avril ne te découvre pas d’un fil de pêche. 

- enfin quelques problèmes techniques ont empêché mon père d’envoyer son poisson d’avril. D’abord son traitement de textes Office 364 a décidé de ne pas fonctionner justement ce jour-ci, puis le correcteur ortografique a parsemé le texte de fautes qu’il a fallu corriger une à une, en espérant toutes les avoir repérées, et le nouveau système de partage SharePoissont n’a pas pu s’enclencher malgré plusieurs tentatives d’hameçonnage. Enfin, l’Internet a décidé de router le message sur la base de la RFC 1149 (https://rfc1149.net/rfc1149.html) ce qui a légèrement augmenté le temps de transmission. 

Finalement, mon père m’a autorisé à vous dévoiler quand même le poisson d’avril auquel il avait pensé, mais qu’il n’a pu envoyer. Je vous le livre, il est un peu réchauffé mais garanti sans arêtes : en hommage aux 50 ans des événements de 1968, il n’y a pas de poisson d’avril cette année, ni sous les pavés, ni sur la plage, ni sur les rails entre les deux (puisqu’il n’y a pas non plus de train).

En vous remersciant, Monsieur le proviseur.